
J’y suis allé la semaine dernière, croyant étonner et faire partager à une connaissance étrangère l’un de mes secrets les plus précieux et puis voilà que, vlan ! je reçois en pleine figure un spectacle de désolation qui m’a plongé dans un véritable désarroi et une profonde affliction. Trop, c’est trop, et je ne peux contenir ni mon indignation ni ma colère. Alors, allons-y.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’endroit, il s’agit d’un site blotti au pied de l’un des sommets les plus élevés de jebel Esserj. Là, sourd l’une des sources les plus abondantes et les plus réputées puisque son eau est acheminée par canalisation jusqu’à Jouggar, où elle s’additionne à celle provenant du massif zaghouanais pour alimenter la capitale et son voisinage en eau potable. Mais là n’est pas son unique vertu puisque, pour ne rien gâcher, elle se situe dans un endroit enchanteur, encaissé au fond d’un val parcouru par un ruisseau que vient grossir le trop-plein provenant du captage de la source, et qui peut, en périodes de pluies, gonfler pour se transformer en véritable torrent et vers lequel glissent de toutes parts des pentes boisées ou cultivées en vergers et en potagers. Le captage a été édifié aux débuts du XXe siècle par les autorités coloniales dans un style plus ou moins arabisé pour protéger le précieux liquide et en maîtriser le flux. Tout autour, elles ont aménagé une sorte de parc de promenade pour l’agrément des résidents chargés de la maintenance des installations et des visiteurs (à l’époque, nécessairement européens, de la communauté des colons installés dans cette riche région agricole).
Non seulement de réalisations, guère il n’y eut, comme dirait l’autre, mais l’unique intervention qui eut lieu sur ce site, de toute bonne foi, assurément, connaissant l’instance et les intentions qui ont présidé à sa réalisation, s’est traduite par l’aménagement de quoi ? On va dire une auberge, qui jure, par son style et les matériaux qui entrent dans sa construction, avec le caractère agreste et les traditions architecturales de l’endroit. Un véritable petit désastre qui, en outre, et étant donné son « standing », nuit à l’image de marque des lieux et l’empêchera à tout jamais d’accéder au rang de destination privilégiée, servie par des moyens techniques et humains de qualité. Cela, au moment même où la somptueuse demeure appelée borj par la population locale, qui servait à l’hébergement des cadres de la compagnie qui gérait la station et comprenant chambres avec cheminée, commun spacieux, sans compter le vaste parc — qui l’entoure et qui pourrait accueillir bien d’autres résidences sous forme de pavillons en bois (par exemple) — qui a été laissé en réserve pour servir de villégiature au gouverneur de Siliana durant des décennies et qui est aujourd’hui à l’abandon. Les gouverneurs de Siliana, aujourd’hui on peut le proclamer, on s’en fout. On préférerait que cette résidence soit enrichie et transformée en unité d’hébergement touristique haut de gamme. C’est cela qui va procurer aux gens des compléments de ressources à leur très maigre quotidien. Et qui contribuerait à enrichir l’offre touristique tunisienne.
Pour l’heure, on est bien loin de tout cela. Aujourd’hui, si vous vous rendez à Aïn Boussaadia, vous allez sentir votre gorge se serrer devant le spectacle indigne d’installations défoncées (bancs et rambardes en maçonnerie autour de la berka ainsi que les toilettes emportés par les dernières crues), mares formées par les déchets en plastique en bordure du ruisseau… Jusqu’au vénérable marabout qui veille sur la source et dont la coupole, il est vrai, menace ruine mais qu’on se propose de restaurer à coups d’horribles briques rouges et de carreaux en faïence.
Non, trois fois non ! Arrêtez le massacre et restituez-nous ce coin de paradis.
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