Depuis 2004, Kacem Azzouz et Ahmed Blaïch n’ont cessé de voir leurs parcours se croiser sur des missions et des projets qu’ils ont menés en commun. La complémentarité de leurs profils et les fruits de leur coopération les ont convaincus de conjuguer leurs talents de manière permanente et de donner vie à BAAK. La personnalité marquée de ce duo qui fait l’objet de notre rubrique « jeunes architectes », nous a imposé cette fois-ci une forme rédactionnelle particulière, celle de la discussion et de la parole affranchie.
Racontez-nous vos parcours respectifs
Ahmed Blaïch : J’ai obtenu mon diplôme d’architecture en 2005 après un stage professionnel auprès de l’agence Slim Ben Nessib. J’ai suivi un parcours de huits ans au sein de cette agence d’abord en tant qu’architecte junior, puis senior à partir de 2009. En 2012, je me suis associé à Kacem Azzouz pour monter notre cabinet d’architecture. Dans le courant de l’année universitaire 2009/2010 j’ai enseigné à l’ENAU en qualité d’expert et j’en garde de très beaux souvenirs.
Kacem Azouz : J’ai également eu mon diplôme d’architecture en 2005 après un stage professionnel auprès de l’agence Taoufik Ben Hadid. J’ai entamé une expérience professionnelle chez Slim Ben Nessib en tant qu’architecte junior jusqu’en 2008. Date à laquelle j’ai réintégré l’agence Taoufik Ben Hadid en tant qu’architecte senior jusqu’en 2010.
Que pouvez-vous nous dire de vos expériences respectives auprès d’architectes tels que Slim Ben Nessib ou Taoufik Ben Hadid ?
Dans le métier, quand tu as le loisir de choisir tes patrons, seul ton appétit du travail compte. Ce que nous entendons par là, c’est que nous avons eu la chance de travailler auprès d’architectes qui nous ont faits confiance, nous ont patiemment appris le métier et transmis généreusement leur savoir-faire.
Nous appartenons tous deux à une génération de transition, entre celle qui vient avec l’idée que toute information peut être trouvée instantanément sans avoir à la collecter ni la stocker scrupuleusement, et celle de nos aînés où seul l’apprentissage faisait foi. Par rapport à la société numérique actuelle, nous considérons que cette transmission est essentielle, elle est constitutive de l’expérience de l’homme de l’art. Elle nous a permis de nous réaliser.
Quelles convictions partagez-vous ?
Il nous a toujours semblé qu’en architecture le bâtiment ne représente pas l’essentiel. L’essentiel du geste architectural se joue avant toute construction et en dehors de toute construction. Ce qui fait l’architecture, ce ne sont pas les murs et le toit, ce n’est pas le concept architectural, ni sa matérialité en tant que telle. Ce qui fait l’architecture en revanche : c’est la relation de l’objet avec l’être, son vécu, son expérience.
Il existe une interaction entre les êtres humains et les choses, entre nos impressions et les choses qui nous entourent. Notre travail est de matérialiser des espaces de vie où cette interaction opère et procure un sentiment de liberté et d’aisance. L’atmosphère qui s’en dégage agit sur notre perception émotionnelle. Une réaction aussi instantanée qu’imprévisible, ça nous plait ou ça ne nous plait pas !
J. M. William Turner disait à John Ruskin en 1844 : « atmosphere is my style ». Cette notion d’atmosphère s’exprime chez nous par une architecture dépouillée, profondément enracinée dans le paysage et utilisant des matériaux locaux.
Mais cela n’est pas facile. Il faut travailler, et avoir du talent. Puis encore travailler !
Dans ces conditions quelle démarche alternative mettez-vous en œuvre pour prendre en compte cette expérience humaine ?
Il faut dépasser le dualisme hégélien qui consiste à ne voir dans tout bâtiment que l’union d’une matière et d’une idée et proposer une alternative qui intègre l’expérience vécue de l’usager.
Nous pensons que tout être humain a déjà fait, « inconsciemment », l’expérience de l’architecture. Notre mission serait donc de nous servir, « consciemment », de cette expérience vécue pour enclencher un dialogue avec le commanditaire et faire émerger ses besoins et attentes.
A cet égard, « l’esquisse proposée » serait donc relue de manière à déclencher un processus de conception architecturale qui nous est propre. La méthode du panier et du tamis nous aide à impliquer l’usager dans le processus de création. On demande au client de venir chez nous avec un panier plein d’idées réalistes ou subjectives (et même surréalistes).
Et en faisant l’expérience empirique de l’architecture, nous faisons passer le maître de l’ouvrage, de l’abstraction de la représentation architecturale (dessinée sur du papier ou par média interposé) aussi jolie soit-elle, à la réalité concrète de l’architecture qui est de voir, de toucher, d’entendre et de sentir, en ayant recours à des tamis de différents maillages pour filtrer la matière première qui va constituer notre réponse.
Quels outils opératoires utilisez-vous pour évaluer les déterminants de cette atmosphère et pour les transposer dans votre architecture ?
Nous avons pour habitude de commencer nos projets par leur finalité, par l’objet architectural désiré, pensé en images par association d’idées, d’ambiances, de matériaux, d’objets sensoriels, pour finir par le mettre au propre ; dessins techniques de plans et de détails.
Nous aimons le répéter, il ne s’agit pas de l’union d’une matière et d’un concept, ni de la revanche de la matière sur l’idée. Au déclenchement du processus, quand on pense architecture, des images défilent, nous rattrapent, nous interpellent, elles sont en rapport avec notre formation et notre pratique du métier, mais aussi avec notre enfance, nos expériences conscientes et inconscientes de l’architecture.
Nous portons en nous des images des projets qui nous ont marqués. Ces vieilles images ne feront jamais un projet mais elles nous aident à en créer des nouvelles. Pour moi, P. Zumthor et l’agence Sanaa ont su, par la mise en œuvre précise et sensuelle des matériaux, créer des espaces chargés de « magie du réel », et rendre perceptible une émotion de l’espace !
Notre seul vrai outil est le travail patient sur l’objet architectural jusqu’au moment où on peut se dire que c’est beau ! Et citonsencoreP. Zumthor : « quand la forme ne me touche pas, je retourne en arrière et recommence depuis le début ».
Le mot de la fin
Dans notre monde contemporain, il suffit de savoir que la construction dans les villes se décide à travers des procédures technocratiques, dans des bureaux et sur des plans, sans tenir compte, le moins du monde, de la manière dont les êtres humains sont liés aux choses – par leur histoire, par leur corps charnel – pour comprendre le malaise de nos villes et de nos architectures.
En somme pour nous, une architecture, qui est un contenant, est également un lieu d’échange et surtout un langage pour révéler le monde.Elle donne à l’espace sa dynamique ; elle donne au monde sa visibilité. Elle sert aussi à introduire l’être humain dans le monde, à l’y inscrire. Elle nous donne à comprendre comment l’homme s’humanise.
Ce rapport de l’homme aux choses de la vie, nous fait prendre conscience qu’un bâtiment n’est pas conçu pour une seule fonction, un seul environnement et une seule époque. Il en résulte, l’importance de la dimension du temps que porte en elle l’architecture. Ce qui reviendrait à considérer l’œuvre architecturale comme une œuvre en processus d’adaptation, continuel au gré des mutations sociales, et technologiques.
Pour le dire avec des mots simples, débarrassés de toutes fioritures, nous sommes là, architectes pour transmettre à nos clients l’énergie de la transformation, l’énergie d’une œuvre libérée.
Article paru dans Archibat n°36 – Novembre 2015