Plantons le décor ! Amérique centrale, Costa Rica, sur la côte Caraïbes du pays connue pour sa jungle protégée, sa biodiversité, pour ses volcans et ses plages. A Porto Viejo, l’architecte tunisien Amin Hasni, fondateur et leader de l’Agence d’Architecture Hasni & Hasni depuis 2004, réalise un projet pour le moins surprenant :
une structure en bambou haute de 9 mètres abritant un resto-lounge de 200 m² sur la plage du plus grand hôtel de la région.
Présentation de l’Agence Hasni & Hasni
L’Agence Hasni & Hasni Architecture existe depuis quinze ans. Composée d’Amin Hasni son fondateur, de Noor Hasni depuis au fil du temps des dizaines de collaborateurs dans son équipe. Avec quelques réalisations dans le résidentiel et dans la promotion immobilière, l’agence concentre l’essentiel de son activité depuis 2004 dans le secteur touristique avec à son actif la rénovation d’une quinzaine d’hôtels en Tunisie et la conception de deux hôtels en Égypte.
Au cours de l’été 2017, Hasni & Hasni Architecture reçoit une commande pour concevoir un resto-lounge sur la plage d’un hôtel de 23 chambres au Costa Rica. Le projet s’est déroulé sur trois phases. Un mois a été consacré à la conception sur fond de découverte du contexte. Durant ce mois, l’architecte met en place le concept et sillonne le pays pour le découvrir et s’imprégner de sa culture. Ensuite, il y a eu le retour à Tunis pour un mois durant lequel ont été organisés au Costa Rica les préparatifs du chantier : achat et séchage du bambou et constitution de l’équipe de travail. Enfin, Amin Hasni passe un second mois au Costa Rica pour la réalisation du projet avec le montage effectif de la structure qui a pris 12 jours.
Nous sommes partis à la rencontre d’Amin Hasni en nous intéressant au processus dans la réalisation d’un projet pas très ordinaire. Interview !
En visualisant les images du projet réalisé, le premier défi semble avoir consisté à proposer une forme « originale ». Dans ce contexte, qui vous est étranger, comment avez-vous répondu à cette commande dont le souci se restreint au formalisme ?
Il fallait bel et bien proposer une nouvelle forme en poussant les choses à l’extrême. Ceci dit, je pense qu’aujourd’hui les formes ont été quasiment toutes explorées. Par contre, ce qui fait la différence, c’est l’intérêt et l’effort portés par l’architecte dans l’exploration de la relation d’une forme proposée avec son contexte. Dans notre cas, la forme est née du contact avec le site. Elle nous a été inspirée par la nature : un oiseau qui se pose ou qui prend son envol, une raie Manta qui quitte les eaux pour les survoler et replonger… Et ce qu’il faut dire aussi c’est que pour nous, c’était bien plus que la conception d’une forme originale ! Ce qui est particulier avec ce projet, c’est que nous avons vécu l’expérience comme un véritable retour à une notion qui nous est chère dans l’agence : le degré zéro de l’architecture, ce qui veut dire avoir un toit pour s’abriter ou encore le mythe de la cabane de Laugier. Et avec cette commande de pavillon-lounge dans la forêt vierge du Costa Rica, on ne pouvait pas mieux tomber !
Comment avez-vous entamé la conception ? Quelle idée a germé en premier lieu ?
Comme il s’agit d’un projet de structure, il fallait impérativement commencer par une maquette, support primordial de l’étude et de l’expérimentation. L’idée à concrétiser était celle d’une structure qui, comme un oiseau marin, se déploie ou vient à peine de se poser. J’ai réalisé la maquette directement sur site, comme un exercice d’école. Et c’était une maquette en spaghetti ! Cette histoire a bien fait rigoler mes anciens étudiants, à qui j’ai alors demandé la même chose dans le cadre d’un séminaire de structure à l’ENAU.
Dans quelles mesures le contexte immédiat a été déterminant dans la conception de cette structure ?
Le contexte nous a inspiré à plus d’un titre. En levant les yeux vers le ciel, les oiseaux marins, avec leur légèreté et l’envergure de leurs ailes déployées, impressionnent et inspirent. En regardant autour de nous, il suffisait de puiser dans les matériaux locaux : le bambou comme élément structurel et la fibre naturelle comme couverture. Le bambou nous paraissait très adéquat, vue sa disponibilité et ses performances techniques. Utiliser un matériau local nous permettait aussi de réduire l’impact carbone de cette opération de construction : le bambou permet d’ailleurs d’emmagasiner 12 tonnes de carbone par hectare et par an.
Après la phase des tests techniques, on avait besoin de bambou de 9,5 m de long alors que les fermes ne produisaient que du bambou de 6 m. Pour l’approvisionnement, on s’est adressé à une ferme plus au sud du pays où les fournisseurs, séduits par la maquette, ont accepté de nous procurer du bambou de 10 m au même prix que celui de 6 m. Concernant la couverture en feuillage naturel séché issu de la cana brava locale, c’est une solution que nous avons puisée dans la tradition indienne. L’un des aspects inattendus dans la réalisation de ce resto-lounge était d’ailleurs la rencontre avec les indiens de la réserve nationale de Bri Bri qui est à quelques kilomètres de notre site d’intervention. En visitant leur village, on s’est intéressé à leur mode de construction.
Ensuite, on a ré interprété et adapté, en termes d’échelle et de forme, ce que la tradition nous offrait comme solution. Le matériau de couverture nous était parvenu sous forme de plaques tissées autour d’une canne que les indiens posent sur des surfaces planes et inclinées. Dans notre cas, la structure est formée par un système plus complexe de courbes et de contre-courbes d’un paraboloïde hyperbolique. Il a donc fallu collaborer avec les indiens pour trouver une manière de disposer les plaques tissées de manière adaptée permettant de résoudre le problème de l’écoulement des eaux pluviales abondantes.
Quelles contraintes, complètement inattendues, avez-vous eu à gérer sur le vif ?
Dépasser les craintes et réussir à convaincre, là résidait le vrai défi qui était essentiellement d’ordre humain! Avec les indiens en particulier, être accepté n’était pas chose facile, surtout quand on leur présente une maquette en spaghetti pour leur expliquer le projet… Pour la plupart, le projet était beau mais tout simplement irréalisable ! Il fallait donc jouer le jeu : j’avais entrepris de réaliser avec trois ouvriers, une maquette intermédiaire du paraboloïde hyperbolique à l’échelle 1 sur 3 et cela en quelques heures. Il s’agissait d’un test : les ouvriers sont montés sur la structure pour voir si elle tenait. Le test a été réussi haut la main ! Un capital confiance s’est dès lors installé.
S’il fallait tirer une « leçon » de ce projet au Costa Rica ? S’il fallait résumer cette expérience en quelques mots, vous diriez quoi ?
Cela concerne le lien subtil entre l’ordinaire et l’extraordianire. Ils ne sont pas opposés finalement !
Le bambou et la fibre naturelle, matériaux habituels, devraient donner une structure dont la forme est inhabituelle pour les locaux. « L’enfant terrible de la jungle », c’est ainsi qu’a été baptisé le projet par le maître d’ouvrage. Il s’agit d’un objet singulier, en quelque sorte « extraordinaire » réalisé grâce à des choses « ordinaires ». Et dans cette expérience, ce sont surtout les rencontres et les gens qui était extraordinaires !
Le processus que vous racontez ressemble à un cheminement, à une quête. L’intuition, l’observation et l’expérimentation sont des registres importants dans lesquels vous semblez puiser vos connaissances en matière de structure.
Mes connaissances en matière de structure se constituent par l’expérience dans le quotidien. J’ai pour cela la chance de les développer et d’apprendre dans des conditions qui me rapprochent de l’essentiel dans le domaine Sainte-Marie du Zit. C’est dans ce lieu que je me ressource, que je trouve la possibilité de développer l’idée d’un parcours initiatique dans l’art, l’architecture et les sens.
Propos recueillis par Cyrine Bouajila, architecte enseignante ENAU
Article paru dans Archibat n°45 – Novembre 2018