Identity and partners est une plateforme d’études et d’échanges pluridisciplinaires regroupant une équipe technique d’architectes et d’ingénieurs. Depuis 2012, Identity and partners a commencé à développer sa présence en Afrique subsaharienne et particulièrement en Côte d’ivoire où ils réalisent plusieurs projets.
Que pensez-vous en général de l’export et quelle place lui accordez-vous dans votre vision globale de la pratique architecturale?
Ce que l’on appelle « export » a des avantages pécuniaires évidents et il s’agit même d’une nécessité aujourd’hui pour l’architecte tunisien au vu de la stagnation du marché dans le contexte « post-révolution ». Ceci dit, et avec tous mes respects pour le jargon actuel, je n’apprécie pas cette formule trop «commerciale». L’architecture n’est pas du commerce ; il est question d’échange mais aussi d’épanouissement dans la conception et de collaboration pour la réalisation de lieux de vie. L’architecture n’est ni un produit, ni une marchandise. Je préfère parler de partenariats à développer, de continuité à établir au-delà des frontières. Dans l’idée de faire de l’architecture ailleurs que chez soi, il est important de considérer les choses en termes de relations avec des personnes dans d’autres pays et d’ouverture sur des cultures différentes pour améliorer les choses ensemble…
Comment avez-vous procédé pour développer des partenariats avec d’autres pays africains? Pour quelle stratégie avez-vous opté ?
Mon premier voyage vers un autre pays africain a eu lieu en 2012 à l’occasion de Bativoire, salon du bâtiment et des métiers de la construction à Abidjan. Hormis cet événement, je me rappelle avoir été frappé par la beauté du pays et par la découverte d’une culture très ouverte dans laquelle l’architecte est très respecté et reconnu à sa juste valeur. Au départ, il s’agissait donc de prospection individuelle. Le travail a évolué sur sept ans depuis la Tunisie, pendant lesquelles j’ai visité aussi le Sénégal, le Mali et le Burkina Fasso… Selon la logique que je vous ai expliquée précédemment (ndlr : réponse à la question précédente), j’ai développé un partenariat avec une grande et ambitieuse structure ivoirienne : Synergis Holding Development (SHD Cote d’Ivoire). Ce partenariat nous a permis de réaliser ensemble plusieurs projets et de développer un réel échange. En 2018, nous avons bénéficié, pour notre plan d’investissement et stratégie de développement de l’activité off shore, du soutien apporté par le programme TASDIR+. Actuellement, nous avons une filiale du bureau tunisien, Identity + Partners CI : nous l’avons lancée à Abidjan depuis quelques mois et elle est composée d’une équipe d’architectes tunisiens assurant la mission de pilotage, renforcée par le recrutement récent de quatre techniciens et architectes ivoiriens.
Votre premier projet a été réalisé en Côte d’Ivoire. Comment cela s’est passé ?
Le premier projet réalisé en 2014 était des villas : un compound, composé de plusieurs duplex de 200 m2 d’un certain standing, ouvert sur la lagune. La conception dans un contexte aussi particulier, portait essentiellement sur l’ancrage dans le site de la morphologie des villas. Concernant la réalisation, cela s’est très bien passé et cela pour deux raisons. D’une part, il y a le fait que le marché soit francophone et que l’on partage une langue, des normes et des règles communes issues de cette même sphère culturelle. D’autre part, la réalisation était particulièrement fluide et agréable car j’ai retrouvé en Côte d’Ivoire, un réel respect des valeurs du travail et du rôle de l’architecte dans le projet, avec l’écoute de ses directives en tant qu’expert dans son domaine. Chacun assure ses fonctions à son niveau.
Est-ce qu’il y a des contraintes qui vous compliquent l’export ?
Des contraintes, il y en a ! Il y en a une qui est bancaire et une seconde que je tiens à dénoncer et qui nous incombe en tant que Tunisiens. Concernant le système bancaire, il est clair qu’il ne suit pas : aucune ligne de financement n’existe pour accompagner les petites entreprises dans leurs investissements en Afrique subsaharienne, d’ailleurs aucune banque tunisienne n’y est implantée. Cela complique particulièrement les choses pour les transactions avec cette absence totale de structure tunisienne.
L’autre contrainte que je dénonce fermement, c’est la qualité médiocre de l’accueil que nous réservons à nos hôtes venus des pays de l’Afrique subsaharienne. Les structures d’accueil à l’aéroport, les conditions d’attente et de transit qu’on leur offre, sont à la limite de l’indécence !
Un conseil à donner aux architectes plus jeunes ?
Evitez l’esprit One shot ! Ne partez pas à la « conquête » des autres pays africains avec l’idée d’un assaut conquérant qui sera couronné par un butin ! J’entends autour de moi utiliser des phrases comme
« s’attaquer au marché africain ». Pourquoi « s’attaquer » ? Aux jeunes architectes tunisiens, je me permets donc de prodiguer ce conseil : partez avec l’idée de construire dans la continuité de ce qui a été réalisé avant vous : il est capital de préserver l’image construite tout au fil des décennies par les bureaux et entreprises tunisiens. Grâce à leur travail sérieux de longue haleine, l’entreprise tunisienne est aujourd’hui synonyme d’un excellent rapport qualité/prix.
Partez aussi avec l’idée de construire dans la durée des relations à long terme, avec un esprit d’échange horizontal et de collaboration : créez des structures binationales, recrutez sur place voire installez-vous… Notre tâche est noble, ne l’oublions pas !
Propos recueillis par Cyrine Bouajila
Article paru dans Archibat n°48 – Décembre 2019