Aborder la problématique de l’habitat rural, « Habiter dans la campagne », implique la prise de conscience de la chronologie de son évolution à travers l’histoire, ainsi que de sa complexité, au vu de l’interaction dynamique entre les aspects du temps, du cadre de vie et de la spécificité du comportement des habitants au sein de leurs environnements.
Tout a commencé avec la cabane
La cabane, en tant que concept et matérialité, représente le premier moment de la manifestation de l’architecture en tant que réponse aux besoins fondamentaux de l’être humain : le premier acte d’installation d’un habitat construit.
La cabane primitive de Laugier est considérée comme un moment important dans l’histoire de l’architecture, où l’on théorise la recherche d’une architecture rationnelle et fonctionnelle basée sur des principes naturels et universels. L’abbé Laugier (1713-1769), prêtre jésuite et théoricien de l’architecture français du XVIIIe siècle, a apporté une allégorie d’un homme dans la nature et son besoin d’abri : Laugier imagine un homme primitif confronté à la nature et cherchant à se protéger des éléments. Cette allégorie illustre ses idées sur les origines de l’architecture et sur les principes fondamentaux qui devraient guider sa pratique.
La cabane de Thoreau, bien que plus modeste et moins symbolique que la cabane primitive de Laugier, représente un acte délibéré de simplicité et d’autosuffisance. Henry David Thoreau (1817-1862), écrivain et philosophe américain, dans son livre “La vie dans les bois” (ou “Walden, or Life in the Woods”), raconte les deux années, deux mois et deux jours qu’il a passé dans une cabane qu’il a construite près de l’étang de Walden, à Concord, dans le Massachusetts. Sa démarche s’inscrit dans une quête spirituelle et philosophique, où il cherche à vivre de manière plus authentique et consciente.
Le cabanon de Le Corbusier incarne sa philosophie par son minimalisme, sa matérialité et sa fonctionnalité. Bien que la cabane soit petite : 3,66 mètres sur 3,66 mètres, soit environ 12 mètres carrés, elle est conçue pour être extrêmement fonctionnelle et utilise l’espace de manière optimale.
Le Cabanon reflète la vision de Le Corbusier d’une architecture capable de répondre aux besoins essentiels de l’homme avec simplicité et efficacité. Il s’agit d’un exemple concret de sa recherche de l’harmonie entre l’habitat humain et l’environnement naturel, ainsi que de son engagement envers une architecture accessible et démocratique. La cabane, en tant que concept, représente le premier moment de la manifestation de l’architecture, car elle répond aux besoins primaires d’abri et de protection.
Que ce soit à travers la simplicité théorique de Laugier, la quête de vie authentique de Thoreau, ou l’efficacité minimaliste de Le Corbusier, la cabane incarne l’essence même de l’architecture : créer un espace habitable répondant aux besoins fondamentaux de l’homme.
La construction en dur remplace la cabane dans un deuxième moment. Cette évolution marque un progrès significatif dans la manière dont les humains construisaient leurs habitations, passant de structures temporaires et rudimentaires à des édifices permanents et sophistiqués.
Mais comment habitait-on la campagne ?
Historiquement, les gens ont toujours construit leurs propres habitations avec leurs propres moyens et les ressources disponibles. Au vingtième siècle, un nouveau phénomène est apparu : l’intervention de l’État dans la construction des habitations privées. Nous allons prendre en considération deux expériences simultanées datant de 1945 : celle de Hassan Fathy avec la construction du village du Nouveau Gourna en Égypte, et celle de Zerfuss et kyriacopoulos en Tunisie avec leur maison MINIMA.
Pour la première fois, l’État s’est engagé à construire des noyaux d’habitations privées à grande échelle.
Il s’agit pour nous de nous positionner quant à l’étude de ces deux expériences, où chacune présente ses propres modalités et résultats. Nous avançons un modèle alternatif à la croisée des chemins, dépassant les deux approches illustrées. Avec 80 ans, nous avons assez de recul pour synthétiser tout cela.
LE MODÈLE ÉGYPTIEN 1945
En 1945 Hassan Fathy a entrepris un essai visant à reloger une population de villageois-pilleurs de tombes, qui vivaient au-dessus des nécropoles. Il a conçu et réalisé un village avec toutes ses composantes urbaines. Ce qui était novateur, c’était la mise en œuvre massive de procédés de construction en terre pour les murs et les toits.
Cependant, les relectures, témoignages, nouveaux regards, enseignements réitérés et critiques sont autant de leçons à tirer de l’œuvre matérielle et intellectuelle de Hassan Fathy, dont la réception critique a été mouvementée. Considéré précurseur, visionnaire, en avance sur son temps, il a été incompris.
Son œuvre majeure, le village du Nouveau Gourna, a été mal interprétée par la société égyptienne. Ce qui n’a pas fonctionné dans cette expérience, c’est son anachronisme. Le contexte social évoluait vers un modèle plus individualiste, rompant avec l’ordre traditionnel de solidarité sociale et de coopération où les grandes tâches, comme la construction des habitations, étaient réalisées collectivement par tout le village. De plus, l’entretien annuel des bâtiments était essentiel à leur pérennité. Avec la rupture de cet ordre social, les habitants n’avaient plus le temps ni la motivation pour entretenir leurs maisons avant chaque saison de pluies. Cela a conduit à des problèmes et à l’échec partiel de l’expérience sociale. Aujourd’hui, à el Gourna, on trouve des maisons en béton à la place des anciennes habitations du village, avec seulement quelques bâtiments encore debout. Seule l’histoire de cet homme et de son aventure persiste entre les murs d’el Gourna, comme en témoigne le film de Borhene Alouie et Lotfi Thabet de 1978 : “Il ne suffit pas que Dieu soit avec les pauvres ». )
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Article paru dans Archibat n°61 – Juin 2024, pour lire la suite, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : www.archibat.info/nouveau-numero-disponible/