Monsieur Le Promoteur, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être



Monsieur  le promoteur et producteur de nos lieux de vie,

C’est avec détachement de toutes les divinations spéculatives sur le futur de l’immobilier en Tunisie que je vous destine ouvertement cette réflexion.

Un sujet me tient à cœur : l’habitat.


Au delà d’un simple toit, le logement doit satisfaire d’autres besoins: garantir la dignité de son ménage et échapper, par l’« adresse », au déclassement social. En Tunisie, comme (presque) partout ailleurs, cette  aspiration  se retrouve souvent reléguée. Pour cause, des ménages de moins en moins solvables face à un marché immobilier de plus en plus onéreux.
Parce que vous en êtes conscients, vous multipliez les passerelles vers les organismes financeurs et vous dénoncez une pénurie de l’offre induite par le système actuel d’accès aux parcelles constructibles. N’y a t-il pas là les indicateurs d’une démarche purement quantitative vouée à s’essouffler faute d’une redéfinition plus « courtoise » de nos espaces à vivre ?
 
Les standards actuels ne peuvent, à mon sens, constituer la seule réponse aux aspirations des ménages tunisiens. Nous ne pourrons plus, désormais, continuer à réfléchir le logement comme « une voiture » : Le logement se suréquipe techniquement pour des fonctions sans réels usages. Sans possibilité de bricolage, le logement se sécurise et renseigne au passage sur la catégorie sociale à laquelle nous appartenons.
 
Des masses bâties rébarbatives surgissent dans nos paysages urbains sans aucune accroche ou gradation depuis la rue. Elles sont murées et gardées dans les quartiers résidentiels, flottantes, voire perdues, dans les quartiers plus ordinaires. La configuration du logement, qui se comprime, se déconnecte des aspirations culturelles et sociétales locales. Le logement multiplie les pièces humides – ventilées mécaniquement ; le coin nuit l’emporte sur le coin jour. Des terrasses gigantesques courent le long de façades impactées par de forts vis-à-vis.
 
Y voyez-vous une réponse pertinente pour accompagner les nouveaux modes d’habiter des familles tunisiennes ?
 
Figé, le logement ne permet aucune modularité et évolution dans le temps. C’est pourtant  cette évolution spontanée qui régule aujourd’hui les parcours résidentiels.  
 
La prise en compte de ces spécificités ouvrirait la voie d’un regain d’attractivité de la promotion immobilière privée auprès de nos concitoyens. Celle-ci ne constitue à ce jour que  20% du marché de l’immobilier.
 
Monsieur le promoteur, cher confrère, si je m’invite aujourd’hui dans votre « Logement » c’est pour rappeler que la maîtrise d’ouvrage est une affaire de courtoisie et que le maître d’ouvrage fait l’architecte.
 
Libérons nos concepteurs de tout standard et permettons-leur d’expérimenter de nouveaux modes d’habiter et de nouvelles densités. Lançons, dans la Tunisie d’aujourd’hui, le chantier de « L’habitat digne à Prix Maîtrisé» : un habitat accessible au plus grand nombre, non stigmatisant, sain, pérenne et économe, pensé comme une entité intégrée à un quartier et support d’interactions sociales, ciment naturel de notre société.
 
Enfin, plusieurs manifestations professionnelles annoncent une préoccupation environnementale et énergétique dans la construction de nos bâtiments, ce qui est louable. Mais, de grâce, ne vous lancez pas dans le suréquipement de vos logements au nom de la performance énergétique. La clémence de notre climat, en comparaison avec celui des pays d’Europe, laisse la place belle à la conception bioclimatique pour éviter de penser le logement comme un « objet technique ».
Imposons la voie de l’approche passive et votre culture du « coût global », propre à la profession,  afin de ne pas induire de nouveaux surcoûts et de pénaliser davantage les ménages tunisiens.
 
Rabia MGHAIETH ENCKELL
Agitateur des choses urbaines







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