La question de l’attractivité territoriale comme levier du développement local se pose avec acuité en Tunisie avec la mise en œuvre du processus de décentralisation. L’instauration par la constitution de 2014 de la réforme de la décentralisation comme nouvelle modalité de gouvernement et la communalisation intégrale du territoire national par la révision du découpage administratif et le transfert des compétences vers les acteurs locaux mettent en effet les communes face à des impératifs de développement territorial et économique, dans un contexte de faiblesse des moyens humains et financiers. Les acteurs locaux sont donc contraints de réfléchir à de nouvelles modalités de gouvernance et de gestion de leurs territoires, favorisant l’attractivité de ces derniers et permettant d’augmenter les ressources propres des communes, en particulier celles à caractère rural ou celles où les enjeux socio-économiques et environnementaux sont exacerbés.
Cette problématique a été au centre des débats les 15 et 16 mars 2022 à l’occasion d’un forum organisé par Cities Alliances en partenariat avec l’Association Tunisienne de urbanistes (ATU) et l’Instance de prospective et d’appui au processus de la décentralisation (IPAPD) dans le cadre du projet Madinatouna II implémenté par Cities Alliance et financé par la SECO. Ce forum, tenu à Sousse, a constitué une plateforme d’échange entre les différents acteurs du développement local à savoir les acteurs publics centraux et déconcentrés, les acteurs locaux, les représentants du secteur privé, la société civile, les ONG, les chercheurs et les experts afin de réfléchir à cette question et initier la formalisation d’une vision commune permettant de favoriser l’attractivité des territoires en Tunisie au profit d’un développement local durable et inclusif.


Dans un premier temps, les expériences menées dans le cadre d’études de planification stratégique et de développement local, notamment les stratégies de développement de villes (SDV) et les plans de développement locaux (PDL) ont été présentées en tant que cadre de réflexion pour le renforcement de l’attractivité territoriale. Les approches et outils susceptibles d’améliorer le développement territorial ont ensuite été discutés, en mettant en exergue l’apport des outils de planification territoriale à différentes échelles (nationale, régionale et locale) et le rôle primordial joué par les communes et la FNCT dans la promotion de l’attractivité territoriale.
La nécessité de mise en place d’une approche participative effective, qui intègre les besoins des femmes et des jeunes a été également débattue et a permis de montrer son efficience pour la production de territoires inclusifs. L’attractivité économique et le rôle du tourisme responsable ont enfin fait l’objet de deux sessions, qui ont traité des opportunités à exploiter et des outils à mettre en œuvre afin de garantir un développement économique à l’échelle locale et régionale. Les différentes interventions ont été étayées dans chaque panel par des témoignages d’acteurs locaux, qu’il s’agisse d’élus, de cadres techniques de communes ou de membres de la société civile, avec la présentation des expériences menées localement par ces derniers et favorisant un développement social et économique, mettant l’accent sur les difficultés à pallier et les bonnes pratiques à renforcer pour dupliquer ces expériences dans d’autres communes.
Parmi les conclusions qui ont émergé de ce forum, le consensus a été unanime sur le fait que la question de l’attractivité se construit à différentes échelles (nationale, régionale, locale) qui doivent être articulées. Il s’avère primordial de la territorialiser en l’ancrant au plus près du terrain et en impliquant l’ensemble des acteurs concernés. Il faudrait également partir d’un projet de territoire, d’une vision portée par les conseils municipaux et partagée par l’ensemble des acteurs déconcentrés, les acteurs privés et investisseurs et surtout les citoyens et les organisations de la société civile. La question des moyens devant être mis à disposition pour garantir un développement local effectif se pose avec acuité pour les communes, surtout celles nouvellement créées et celles ayant connu une extension de leurs territoires avec l’annexion de territoires ruraux. Le défi ne peut être relevé dans ce cas que grâce à l’exploitation des potentialités du territoire, la mise place de partenariats publics privés, la création d’opportunités d’emplois et l’encouragement des micro-projets par des montages financiers adéquats. Le constat du manque d’articulation entre la planification économique, qui se fait à une échelle régionale et se limite à la programmation des grands projets et des investissements, et la planification spatiale, qui est élaborée par le biais des documents d’urbanisme nationaux, régionaux et communaux a également été souligné par les différents participants au forum, et permet d’expliquer le manque d’efficience des outils mis en place. L’absence de territorialisation des investissements crée en effet un hiatus entre les besoins réels des acteurs locaux et les projets programmés et il s’avère nécessaire de réfléchir aux modalités d’articulation de la planification économique et la planification spatiale, afin d’assurer une pertinence des investissements. Par ailleurs la nécessité d’assurer une cohérence entre les différents outils de planification et l’importance de la concordance entre les instruments de planification au niveau local ont été soulignés par les acteurs présents comme garants d’un développement territorial équitable et durable.
La rencontre a été clôturée par une question centrale : quelles limites entre les impératifs d’attractivité et de compétitivité territoriale et ceux d’équité territoriale et quel est le rôle de l’Etat et celui des collectivités locales ?
Parmi les acquis concrets de ce forum, la commune de Médenine a manifesté son intérêt de procéder à la mise en cohérence entre la planification spatiale et celle de son développement territorial. Cette demande coïncide avec l’étude du plan d’aménagement en cours de révision par la commune et aussi le schéma directeur de la région de Médenine (Commune Médenine et agglomérations limitrophes) que la Direction Générale de l’Aménagement du Territoire DGAT est entrain de lancer. Cities Alliance a saisi cette opportunité pour conduire une expérience pilote d’élaboration du PDL intégrant la dimension spatiale. Le processus d’élaboration de ce PDL est en cours.
Texte : Nazek Ben Jannet (Cities Alliance) et Hend Ben Othman (Association Tunisienne des Urbanistes)
Article paru dans Archicbat n°55 – septembre 2022