Retours sur la Journée d’étudesL’architecture hospitalière L’hôpital de demain, quels enjeux ?



Sous le patronage de Monsieur Mohamed Salah Arfaoui Ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, en collaboration avec le Ministère de la Santé Publique et avec la participation de la revue ARCHIBAT, a été organisée 28 mai dernier une journée d’étude dédiée à l’architecture hospitalière.



Cette manifestation a réuni des experts (architectes, ingénieurs, programmistes,…) étrangers et locaux autour de la question de l’architecture hospitalière à venir en Tunisie. En dépit des acquis, et au vu des changements rapides de l’environnement de santé et des protocoles de diagnostics et de soins médicaux, l’infrastructure hospitalière est appelée à évoluer pour s’adapter aux standards internationaux et répondre aux exigences du citoyen. A l’issue de cette journée des pistes de réflexion ont été dessinées pour évaluer les enjeux mis en question par cette évolution et la stratégie à mettre en place pour assurer une architecture hospitalière de qualité, qui soit fonctionnelle, flexible et « humaine ». 

Monsieur Mohamed Salah Arfaoui, Ministre de l’Equipement, a ouvert le débat en saluant l’initiative, il situe le propos dans le cadre plus large d’un système de santé qui s’essouffle et qui fait l’objet d’une évaluation par une équipe d’experts de l’OMS. Il met l’accent sur l’enjeu que représente l’hôpital pour sa région dont il est la « vitrine » et pour le citoyen qui cultive « un sentiment d’appartenance » à son égard.  Il souligne l’importance à accorder au soin du jour qui se généralise et au séjour de longue durée qui nécessite un hébergement spécifique. En conclusion il appelle les participants à accorder un volet particulier à l’accessibilité, notamment pour les personnes en situation de handicap et en cas de situation de risque (catastrophe naturelle, séisme, guerre, …).

Etat des lieux et perspectives

Nejib Kouraïchi et Ahmed Bouchoucha, tous deux architectes au Ministère de la santé, s’accordent sur le fait qu’en dépit des acquis importants de la Tunisie en matière d’infrastructure hospitalière, tant au niveau du secteur public que privé, des efforts sont encore à réaliser en vue de garantir une prise en charge des malades de meilleure qualité, plus efficace et plus efficiente. Ils mettent l’accent sur l’importance à accorder à la programmation en amont du processus de conception et production architecturale, ainsi que sur la nécessité de réviser le cadre règlementaire relatif aux études. 

Les études intéressent plusieurs domaines depuis la programmation, l’établissement du Plan Directeur, du projet, la définition exacte des prestations, le contrôle des prestations des entreprises de construction jusqu’à la vérification de la bonne mise en œuvre. Ces dernières études appartiennent spécifiquement à la maîtrise d’œuvre qui en Tunisie nécessite un cadre réglementaire plus adéquat. En effet, les tentatives actuelles de révision du décret 78-71 datant depuis le 26 janvier 1978 portant sur l’approbation du cahier des conditions administratives générales réglementant les missions d’architecture et d’ingénierie assurées par les prestataires de droit privé pour la réalisation des bâtiments civils, représentent une opportunité historique qui permettrait d’ouvrir les horizons aux bureaux d’études vers le développement des compétences en matière de programmation.

Les enjeux et la méthodologie de la programmation hospitalière

Le Dr Charles Petitot, médecin consultant en stratégie et organisation hospitalière, a quant à lui, centré le propos sur la programmation médicale et capacitaire d’un nouvel établissement de santé qui doit aujourd’hui répondre à certaines règles qui conditionnent l’efficience opérationnelle et économique de son utilisation à venir. 

Stephan Bajdas, programmiste, chargé du développement au sein de la société SECA santé, soutient que le programme est la pierre angulaire de la conception et de la réalisation d’une opération immobilière, en particulier hospitalière. Son intervention a porté sur les deux étapes qui le caractérisent ; à savoir : 

  • L’étape de pré – programmation qui s’appuie sur le calage des contraintes du site qui permettront d’entériner certains choix et de les affiner. 
  • L’étape de programmation donnant lieu à (un ou des) programmes détaillés (aspect fonctionnel, aspect  technique & fiches espaces) concrétisant dans un document les objectifs et orientations définies dans les étapes précédentes, en vue de lancer la consultation des concepteurs réalisateurs.

Conception et gestion des flux

L’intervention d’Abdelouaheb Ghadhab, expert en planification de la technologie médicale, se centre sur la conception et la gestion des flux. Le premier point concerne l’organisation des flux du travail (Workflow Staff / Patient). L’auteur soutient que la conception opérationnelle constitue le fondement majeur de la planification qui permet au consultant de développer des solutions de conception optimale, compte tenu des estimations, des calculs de capacité, des limitations spécifiques des locaux et autres nécessités qui influencent les flux et les règles du travail. 

Les blocs opératoires hybrides sont des salles d’opération combinées intégrant des appareils d’imagerie médicale comme par exemple l’IRM ou le scanner qui permettent d’effectuer des diagnostics pré-opératoires. Dans la mesure où le concept d’hygiène et d’agencement de l’espace le permet, le bloc opératoire hybride peut être également utilisé comme simple salle de diagnostic ou comme bloc opératoire classique. De cette manière, l’hôpital peut d’une part faire des économies et d’autre part optimiser l’offre et la qualité des méthodes de traitement proposées. Ceci contribue à la satisfaction des patients et du personnel. 

Géry Divry, architecte spécialisé en bâtiments de santé, axe quant à lui sa présentation sur l’organisation architecturale des blocs opératoires. Après avoir rappelé les trois grands principes de circuits des patients, soignants, matériel et déchets existant dans le monde en explicitant les concepts d’hygiène sous tendus par chacun de ces modèles, il présente le modèle actuellement adopté par la plupart des pays européens et conclut en mettant en avant des arguments en faveur de la nécessaire de faire évoluer la règlementation tunisienne sur ce point. En effet, dans l’état actuel, cette règlementation ne permet pas d’envisager le renouvellement du modèle de conception des circuits de flux habituellement mis en œuvre et qui, aujourd’hui, est devenu obsolète. 

L’hôpital de demain : les concepts clés 

Frédéric Nantois, architecte auprès du groupe français AIA Associés (Architecte Ingénieurs Associés) soulève, quant à lui, la question de la pertinence de penser l’hôpital de demain à partir des modèles d’aujourd’hui ? Face aux différents enjeux que les structures de santé devront relever, l’hypothèse d’un changement de paradigme est ainsi de plus en plus évoquée, questionnant sérieusement les modèles de l’architecture hospitalière qui prévalent toujours largement, autant dans les pays où l’offre en établissements de tous types est abondante que dans les pays en rattrapage. En effet, l’hôpital de demain devra répondre à des défis majeurs :

  • Un défi démographique associant l’accroissement de la population, et le vieillissement de celle-ci

  • Un défi de santé lié à l’importance croissante des maladies chroniques et aux prises en charge que celles-ci impliquent tout au long de la vie des patients

  • Un défi sociétal avec le changement de relation des individus au monde de la santé, porté d’une part par l’augmentation de la population urbaine et d’autre part par le recours aux technologies d’information et les objets connectés

L’hôpital de demain sera-t-il un hôpital tel que nous le connaissons s’interroge Frédéric Nantois? 

Dans ce sens Dr Essedik Jeddi, ancien patron de l’hôpital Razi, psychiatre et psychothérapeute, centre le propos sur l’utilisateur avec ses profils différenciés (malade, accompagnant, médecin, personnel soignant,…). En plus de la fonctionnalité, une architecture de qualité consiste à prendre en compte les exigences et aspirations de chacun, à favoriser le bien-être, le partage et l’intersubjectivité. 

Intervenir sur les hôpitaux existants

Pour s’assurer de la mise en œuvre du programme des besoins, dans un bâti existant ou à restructurer, et préalablement à la rédaction du cahier des charges du concepteur / réalisateur (programme détaillé), l’étude de faisabilité est indispensable. Le programmiste Stéphan Bajdas, a présenté les différentes étapes qui la caractérisent (ou encore appelé pré-programme); à savoir : 

  • Les études préalables (études de diagnostic)

  • L’estimation des besoins (liste de locaux et fonctions, dimensionnement surfacique)

  • La faisabilité spatiale où plusieurs scénarios comparatifs seront établis  et  valorisés économiquement et planifiés dans le temps.

Dans le droit fil de ces développements, l’architecte Hichem Ben Younes souligne que « l’hôpital n’est pas une machine à guérir ». Il dresse le bilan des grandes structures hospitalières existantes qui se caractérisent par des dysfonctionnements en termes d’implantation, de gestion des flux et de durabilité. S’appuyant sur des expériences de restructuration locales et étrangères (Hôpital Charles Nicolle, Hôpital la Rabta, Hôpital à Mosrata en Lybie) il fait part des contraintes les plus fortes dont il faut tenir compte en cas d’intervention dans l’existant. 

Nejib Krid, architecte ayant à son actif plusieurs réalisations et rénovations de projets d’hôpitaux a présenté son projet de rénovation et d’extension de l’hôpital Habib Thameur, qui a connu une première tranche en 1992 et une deuxième qui a durée de 2004 à 2006. Dans sa présentation, il a mis l’accent sur les solutions adoptées pour une meilleure articulation entre les différents services et sur les améliorations apportées au niveau de l’infrastructure technique et en termes de qualité des espaces intérieurs pour un meilleur confort et accueil. 

Retour d’expériences

Avant de clôturer la journée cinq architectes font part de leur retour d’expérience. Frédéric Nantois prédit la généralisation de l’ambulatoire, 12 ans après l’avoir conçu, nous sommes amenés à repenser le cœur d’un établissement hospitalier : son bloc opératoire, affirme-t-il, afin de répondre aux évolutions médicales, aux attentes des patients, aux objectifs financiers des gestionnaires, de rester aussi en avance sur les tendances du marché de la santé. 

L’architecte Samy Mimita, souligne quant à lui l’importance de la communication et du management à toutes les étapes du projet. Tous les acteurs étant concernés il est important d’initier et de développer un projet partagé qui sera celui de tous et de chacun car l’hôpital de demain ne peut se construire qu’en totale collaboration et parfaite harmonie avec ceux qui vivent l’hôpital au quotidien.

Il convient donc définir avec les futurs utilisateurs (dirigeants, personnels, patients, techniciens…), non seulement les besoins mais encore les cohérences des scénarios de vie pour ainsi être à même de les organiser au mieux dans l’espace.

La santé un pilier du développement territorial

Saluant l’initiative, Monsieur Saïd Aïdi, Ministre de la santé, clôture la journée en insistant sur l’enjeu que représente le domaine de la santé pour le développement territorial. Si le diagnostic est sévère – le secteur de la santé s’essouffle- les perspectives sont plus que jamais encourageantes. La carte sanitaire, résultat d’opérations au coup par coup, est à redessiner. Les équipements existants sont à remettre à niveau, d’autres sont à projeter. Les budgets alloués sont largement insuffisants pour les quelques 800 projets inscrits au programme, pour certains depuis 2008. Pour autant, on peut faire état de nombreux acquis tant en termes de compétences qu’en termes d’équipements hospitaliers. 

Il s’accorde avec l’assistance d’experts, quant à la nécessité de réviser, en vue de la moderniser, la règlementation et de la mettre au niveau des standards internationaux. Il lance un appel à contribution pour l’élaboration d’un projet de loi concernant la santé qui ambitionne d’ouvrir l’hôpital public à la société civile, pour une meilleure gouvernance, un meilleur accueil du malade et de ses accompagnants. Ce projet de loi de programmation pluriannuelle vise à améliorer le système de santé, à prévoir les besoins en termes d’équipements, de ressources humaines, de maintenance et d’évolutivité.

Le secteur de la santé constitue un ciment et une locomotive en regard de la cohésion sociale de la Tunisie. 







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