De nos jours, il devient difficile de trouver un logement convenable, à un prix abordable. Dans ces conditions, aspirer à un logement qui corresponde à la fois à ses aspirations, à ses moyens financiers, et qui favorise l’échange et le partage avec ses voisins de quartier, peut paraître utopique. Cependant, des expériences encore rares en Tunisie, plus nombreuses en Europe, tendent à montrer que ce rêve est possible. Il s’agit de tentatives qui mettent en œuvre un nouveau type d’habitat qualifié de
« participatif ».
Un projet d’habitat participatif concerne un ensemble de ménages qui se regroupent et mettent en commun leurs ressources et leurs idées pour concevoir, réaliser et financer un projet d’habitat collectif ou d’un ensemble de logements individuels. Il se présente comme une alternative vis-à-vis du mode production classique de la maison individuelle ou de l’immeuble collectif conçu et réalisé par un organisme de logement social ou un promoteur privé. Ce nouveau type d’habitat groupé et participatif inclut, en plus, une grande part de services mutualisés, de solidarité basée sur le gagnant/gagnant : les habitants s’échangent de services, font des actions/achats groupées, partagent le babysitting, le soutien scolaire, les prestations d’entretien, les conciergeries, échangent des savoir-faire… Il vise à résoudre les enjeux contradictoires que constituent le besoin légitime d’être chez soi et l’obligation de partager des espaces communs, dans la mesure où ce partage n’est pas imposé mais volontaire puisqu’il est opéré par les acteurs d’un projet commun.
L’expérience française
En France, dès le XIXème siècle de nouveaux dispositifs ont ouvert la voie à ce type de pratique. L’objectif visait à l’origine de permettre aux ouvriers d’accéder à la propriété de logements décents. La société française des HBM (habitations à bon marché) qui préfigurent déjà les HLM, proposait des formules dont celle de la location/attribution. Après le versement d’une quote-part à la coopérative au début de l’opération, l’associé s’engageait à verser ensuite des mensualités pour couvrir le prix de son logement dont il devenait propriétaire au bout d’un certain temps. La loi Chalandon de Juillet 1971 qui abolissait le statut juridique de la coopérative d’habitants, a marqué l’essoufflement de ce type d’accession en France. Pour permettre leur relance, la loi ALUR prévoit de nouveaux outils juridiques favorable au logement participatif.
Le cas canadien
Le cas du Québec est remarquable. Pour faire face au désengagement de l’Etat fédéral vis-à-vis du développement du logement social, la province a proposé plusieurs solutions d’habitat participatif, parmi lesquelles figurentles OBSL (organismes sans but lucratif) d’habitation et dans laquelle les locataires sont représentés au conseil d’administration. Cependant les coopératives d’habitation qui se développent à partir des années 70 constituent la forme la plus aboutie du logement participatif. De nos jours on en compte 1.300 qui gèrent environ 28.000 logements.
Ces coopératives louent les logements, dont elle est propriétaire, aux habitants. Elle bénéficie de subventions publiques et a le droit de faire appel à des capitaux privés. L’adhésion est ouverte à tous à condition que le candidat soit agréé par les autres membres. Les candidats doivent acheter des parts sociales de la coopérative, généralement pour un montant inférieur à 1.000 Dollars, ensuite, le locataire paie un droit mensuel d’occupation et doit s’acquitter d’un certain nombre de tâches nécessaires au fonctionnement de la communauté; en contrepartie, il participe à l’administration de la coopérative et à la gestion et son organisation. Chaque coopérative a donc son identité propre en fonction des types d’acteurs qui la constituent (communauté d’artistes, seniors, famille qui désire que ses enfants trouvent des compagnons de jeux,…).
L’exemple allemand de l’« autopromotion »
Dans le cas de l’autopromotion en Allemagne il s’agit d’associations de futurs propriétaires qui projettent et réalisent l’aménagement d’une parcelle mise à leur disposition par la commune. Elles se caractérisent par la prégnance des préoccupations environnementales et l’attention portée à l’aménagement des espaces communs. A titre d’exemple, la ville de Fribourg compte plus de 150 projets de ce type, la ville de Tübingen a, quant à elle, chargé des groupes d’autopromoteurs de la réalisation de quartiers entiers.
Lors des rencontres nationales de l’habitat participatif 2010 en France l’association écoquartier Strasbourg a été chargée de coordonner les travaux de rédaction d’un livre blanc sur le sujet, livre blanc qui a fortement inspiré la rédaction du chapitre VI du titre I de la loi ALUR: créer de nouvelles formes d’accès au logement par l’habitat participatif. Cette loi rend possible toutes les formes possibles d’habitat participatif en France. Une vingtaine de villes s’y intéressent déjà et un Réseau national des collectivités pour l’habitat participatif a été créé. La ville de Paris a décidé le 15 octobre 2013 de lancer un appel à projet pour la construction de logements sur trois parcelles dans les XIXe et XXe arrondissements. Une quarantaine de groupes réunissant 360 ménages ont répondu.
A l’évidence, il s’agit ici d’aborder le problème du logement autrement et de donner la parole et des moyens d’action aux habitants sur un sujet qui les concerne au plus haut point.
En Tunisie, aucun dispositif règlementaire n’encourage ce type de démarche dans le domaine du logement social, pour autant quelques opérations de standing regroupant des personnes proches de la retraite ayant des liens amicaux ou familiaux ont été tentés. Ce nouveau mode de vie pourrait bien trouver ses racines dans celui des plus anciens qu’entretenaient nos parents dans les maisons familiales d’antan qui regroupaient grands-parents, oncles et cousins.
L’arche en l’île
Un projet d’habitat participatif
Le développement de l’habitat participatif conduit à l’apparition d’un nouveau type d’acteur, celui de promoteur spécialisé dans l’accompagnement des habitants engagés dans cette expérience. le rôle de cet acteur est de les aider à concrétiser leur idée et à mener à bien leur projet. C’est le cas de l’agence « Promoteur de courtoisie urbaine ».
Paysagiste de formation, Rabia Enckell créait il y a un an l’agence « Promoteur de courtoisie urbaine ». Son but ? Associer les habitants à la conception de leur logement dans le cadre classique de la VEFA (vente en l’état futur d’achèvement) et favoriser la création d’espaces partagés dans les programmes de logement privé.
L’Arche en l’Île figure parmi les projets qu’elle a conduits.Porté par une volonté délibérée de bâtir et de vivre autrement, l’Arche en l’Île émergera printemps 2017 au cœur du futur écoquartier fluvial de L’île-Saint-Denis aménagé par Plaine Commune Développement, dans le programme de Lil’Seine développé par le promoteur Ardissa. Un groupe de futurs habitants saisit l’occasion pour imaginer L’Arche en l’Île, un petit immeuble de vingt-six logements en ossature bois, de 30 à 100 m2 de surface, répartis sur cinq niveaux dont les deux derniers en duplex (aux 3e et 4e étages). Impulsé par l’aménageur, porté par Ardissa, et réalisé par l’architecte Jullien Beller, le programme réunira quatorze copropriétaires, d’une part, et douze locataires de Plaine Commune Habitat, d’autre part. Le bailleur adhère, en effet, pleinement à cette opportunité de fabriquer de nouvelles situations de mixité et de bon voisinage. De nombreux espaces partagés y rythmeront la vie collective et seront support du « vivre ensemble » : une grande salle commune en rez-de-chaussée, une chambre d’hôte accessible à tous les habitants et leurs visiteurs, une buanderie avec séchage naturel, un grand local vélos et poussettes, suffisamment dimensionné, mais aussi une terrasse sur le toit de plus de 300 m2 pour jardiner, bricoler ou se reposer et des mini-salons partagés entre voisins donnant dans les coursives.
Rabia Enckell a développé un dispositif qui permet de formaliser les besoins. Le processus de coconstruction est simple et suit la trame d’un projet immobilier. Lors des réunions qui rassemblent les acteurs, l’architecte et l’assistant à la maîtrise d’ouvrage, forment le groupe aux aspects techniques, opérationnels et financiers, pour une compréhension globale des enjeux. Des échanges et débats entre les habitants se mettent en place à la recherche des possibles, jusqu’à trouver le bon compromis qui fait consensus. Les décisions sont ensuite retranscrites dans le « carnet de bord » remis officiellement à l’architecte, au promoteur et à l’aménageur. Aucun désaccord n’est alors possible puisque tous les critères de réussite sont ainsi réunis : adhésion des futurs utilisateurs, faisabilité technique et viabilité financière. Cette expérience a permis de repenser les schémas préétablis aboutissant parfois même à des surprises telles que la volonté de généraliser le même prix d’acquisition à tous sans considération d’étage (3450 € TTC / m2 habitable), de privilégier la hauteur sous plafond à défaut d’accéder à plus de surface au sol, ou de choisir une grande terrasse collective sur le toit au lieu d’une addition de mini terrasses privatives, ou encore de bénéficier d’espaces partagés avec des appartements plus compacts, permettant ainsi à la sphère privée de s’étendre à l’extérieur des habitations. Par ailleurs, les usagers demandent souvent des cloisons sans fluides pour pouvoir éventuellement les supprimer pour adapter leur logement à l’évolution de leur mode de vie. L’Arche en l’Île souhaite s’agrandir en accueillant de nouveaux résidents. Six à sept foyers peuvent rejoindre le projet et s’investir dans un futur lieu de vie participatif et coopératif.
Article paru dans Archibat n°36 – Novembre 2015