Alice Maison est lauréate du 1er prix de thèse du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Doctorante au Centre d’Enseignement et de Recherche en Environnement Atmosphérique (CEREA) et à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de 2020 à 2023, elle s’est intéressée pendant son doctorat à la qualité de l’air dans les villes et plus précisément à l’impact des arbres.
Pendant votre thèse, vous vous êtes intéressée à la qualité de l’air dans les villes, notamment à Paris. De quel constat êtes-vous parti ?
Le changement climatique et les îlots de chaleur urbains sont plus que jamais des sujets d’actualité. Il est également important de rappeler les problèmes récurrents dus à la qualité de l’air dégradée en ville. Selon Santé Public France environ 40 000 décès prématurés sont attribués à la pollution de l’air chaque année en France.
Les émissions locales sont particulièrement importantes en milieu urbain, en raison notamment du trafic, de la concentration d’industries et de zones résidentielles. Les concentrations de polluants sont donc souvent plus élevées au niveau des rues que dans l’atmosphère localisée au-dessus de celles-ci.
La plantation d’arbres est souvent promue en ville, apportant de nombreux services systémiques. Lesquels sont-ils ?
De nombreux arbres sont plantés en ville pour lutter contre les îlots de chaleur urbain. L’évapotranspiration d’eau et l’interception du rayonnement solaire par les feuilles contribuent à améliorer le confort thermique en diminuant localement les températures. En outre, les arbres permettent de maintenir des sols perméables dans lesquels l’eau va s’infiltrer. Ils favorisent la biodiversité, stockent aussi du carbone dans leurs tissus et améliorent le bien-être humain par la présence de nature. En revanche, le rôle des arbres sur la qualité de l’air est bien moins connu, même parmi les scientifiques. Il existe un réel manque de connaissances sur ce sujet.
Comment les arbres peuvent-ils impacter la qualité de l’air en ville. Expliquez-nous.
Les arbres ont des effets contrastés sur la qualité de l’air, qui peuvent être positifs et négatifs selon le processus considéré. Le plus important est l’effet aérodynamique. Dans les rues, l’écoulement de l’air est particulier en raison de la présence de bâtiments. L’ajout d’arbres modifie fortement cette circulation d’air, réduisant ainsi la dispersion des polluants.
De plus, les arbres émettent des composés organiques volatils biogéniques (COVb), des gaz qui ne sont pas dangereux pour l’Homme. Cependant, en milieu urbain, ils vont réagir avec d‘autres composés présents dans l’air pour former de l’ozone et des aérosols organiques secondaires, qui peuvent avoir un impact négatif sur la santé humaine. Ces émissions de COV varient selon les espèces d’arbres, la quantité de feuilles, les facteurs météorologiques tels que la température et le rayonnement solaire ainsi que certains stress, comme les stress hydrique et thermique.
Un effet plus largement connu est la capacité de « filtration de l’air » des arbres. Les polluants se déposent sur les feuilles réduisant ainsi leurs concentrations dans l’air, bien que les estimations de cet effet dans la littérature soient encore incertaines.
Pour finir, les arbres modifient le microclimat urbain dans les rues. Je me suis aussi demandé, pendant ma thèse, quels étaient les interactions entre microclimat, stress hydrique des arbres et émissions de COVb.
L’objectif de votre thèse était de quantifier les impacts de ces différents processus sur la qualité de l’air en ville. Comment avez-vous fait ?
J’ai principalement réalisé des simulations numériques sur la ville de Paris pendant l’été 2022. Pour cela, une des premières étapes a été d’intégrer les différents effets de arbres dans les modèles de qualité de l’air existants, développés dans mon laboratoire (CEREA). Les simulations ont été mises en place avec l’aide de plusieurs collègues, notamment pour la construction du réseau de rues et l’utilisation de l’inventaire des émissions anthropiques.
Pour obtenir les paramètres dont j’avais besoin dans la simulation numérique, j’ai utilisé une base de données qui répertorie tous les arbres publics intra-muros. Elle inclut la localisation précise des arbres, l’espèce, la hauteur et la circonférence des troncs, qui m’ont permis de calculer d’autres paramètres comme la surface et la biomasse des feuilles par exemple.
Ensuite, pour représenter plus finement le statut hydrique des arbres, j’ai utilisé un modèle de l’INRAE permettant de représenter les transferts d’eau dans l’arbre (continuum sol-plante-atmosphère), que j’ai couplé avec le modèle de surface urbaine du Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM). Cette approche couplée a permis de représenter les liens entre le microclimat urbain, le stress hydrique, les émissions de COVb et la qualité de l’air à l’échelle de la rue. Ce fut un réel travail collaboratif.
Quels sont tes résultats principaux et les recommandations pour la gestion des arbres en ville qui en découlent ?
Tout d’abord, l’effet aérodynamique, mentionné précédemment, peut augmenter les concentrations des polluants émis dans les rues jusqu’à 40 % lorsque la circulation est dense et que la surface de feuille est élevée. Ill serait donc préférable d’éviter d’avoir de grands arbres dans les rues où le trafic est élevé, par exemple en taillant les arbres ou en limitant le trafic dans ces rues.
Ensuite, les émissions de composés organiques volatils biogéniques induisent une augmentation des concentrations d’aérosols organiques secondaires à la fois dans et au-dessus des rues de Paris ; avec une augmentation moyenne de 5 % et jusqu’à 14 % en période de canicule dans les zones densément boisées. L’augmentation de l’ozone reste faible (environ 1 % en moyenne), sauf en cas de fortes chaleurs pendant laquelle, elle peut être localement plus élevée. La formation de ces aérosols est particulièrement sensible aux émissions de terpènes (famille de COV notamment responsables de l’odeur caractéristique de certaines plantes et arbres). Pour limiter leur formation en été, il est donc recommandé de choisir des espèces d’arbres émettant peu de terpènes.
L’effet du dépôt sec sur les feuilles sur les polluants étudiés (ozone, NO2, particules) est très limité, entrainant une diminution moyenne de – 0,6 % et un maximum de – 2,5 % dans certaines rues.
Enfin, en situation de stress hydrique, les arbres réduisent fortement leur transpiration, ne conservant que l’effet d’ombrage. Le modèle numérique a aussi montré qu’un stress hydrique engendre une hausse de la température de surface des feuilles causant ainsi une augmentation des émissions biogéniques de 28 % à 58 % !
Pour maintenir l’effet rafraichissant des arbres, il est donc crucial de leur assurer un meilleur accès à l’eau, surtout en période de sécheresse, en construisant des fosses plus grandes et perméables par exemple.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur ce sujet ?
Biologiste de formation, j’ai fait une classe préparatoire « biologie, chimie, physique et sciences de la Terre » (BCPST) pour intégrer ensuite le cursus ingénieur puis le master 2 Climate, Land-Use and Ecosystem Services (CLUES) à AgroParisTech. J’ai réalisé ensuite un stage à l’INRAE, pour étudier le fonctionnement hydrique d’arbres dans un parc urbain à Strasbourg. J’ai complété ma formation avec le master 2 Atmosphères intérieures et extérieures (AIR) de l’UPEC. Je travaille donc sur cette thématique depuis plusieurs années.
En quoi, votre thèse s’inscrit dans l’objectif de ce prix de thèse, dédié à la transition écologique, de renforcer les liens entre le monde scientifique et l’administration au bénéfice de l’action publique ?
Ma thèse, bien qu’il s’agisse d’une étude scientifique technique, a permis de formuler des recommandations très concrètes, faisant le lien entre science et action publique. J’espère que mon travail aura un impact sur les politiques publiques de gestion des arbres en ville, car pour le moment, elles n’incluent aucun critère lié à la qualité de l’air (excepté le pollen).
Qu’est-ce que ce Prix représente pour vous ?
C’est vraiment un grand honneur d’avoir reçu le premier prix de thèse du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. C’est une belle reconnaissance et une opportunité de présenter mes travaux plus largement et profiter d’une visibilité incomparable sur mon travail.
Maintenant votre thèse en poche, vous êtes chercheuse postdoctorale au sein du Laboratoire de Météorologie Dynamique. Sur quel sujet travaillez-vous à présent ?
Je travaille maintenant sur l’impact des hétérogénéités de la surface continentale sur le couplage surface-atmosphère dans les modèles de climat, en particulier dans le modèle LMDZ (modèle de circulation générale atmosphérique développé au Laboratoire de Météorologie Dynamique). J’ai élargi mon champ d’études, passant de l’échelle urbaine (de l’arbre jusqu’à une maille d’1 kilomètre) à une échelle beaucoup plus grande (20 à 200 kilomètres). J’analyse comment les hétérogénéités de la végétation, comme un champ à côté d’un sol nu ou d’une forêt, vont impacter l’atmosphère, et comment l’on peut améliorer leur représentation dans les modèles.
Propos recueillis par Adèle Mazurek, responsable de la médiation scientifique à l’École des Ponts ParisTech.
Alice Maison Ingénieure AgroParisTech et diplômée de l’Université Paris-Saclay et de l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne, Alice Maison a réalisé sa thèse au Centre d’Enseignement et de Recherche en Environnement Atmosphérique (CEREA) de l’École des Ponts ParisTech et à l’UMR ECOSYS de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Les travaux menés dans sa thèse intitulée « Modélisation des impacts des arbres sur la qualité de l’air de l’échelle de la rue à la ville », visent à quantifier les différents impacts des arbres urbains sur la qualité de l’air en lien avec le microclimat urbain.
Source : www.ingenius.ecoledesponts.fr