Dans le cadre de la Conférence Climate Chance Afrique 2023 qui se tiendra à Yaoundé du 23 au 24 octobre 2023, l’Observatoire Afrique pose un diagnostic préliminaire des principaux enjeux liés à la thématique : « Habitat Durable et Changement Climatique en Afrique ».
1. La planification urbaine, un défi pour les villes africaines exposées au changement climatique
Selon la Banque mondiale, les villes accueillent 55 % de la population mondiale[1]. D’ici 2050, sept personnes sur dix vivront en milieu urbain dans le monde. Cette tendance se confirme sur le continent africain, où les villes connaissent un rythme d’urbanisation parmi les plus rapides au monde. D’après les projections des Nations Unies, les villes africaines compteront 900 millions d’habitants supplémentaires d’ici à 2050, soit les deux tiers de la population du continent[2]. Si cette croissance urbaine est porteuse d’opportunités de développement[3] pour l’Afrique, elle pose également des défis en termes de planification et d’aménagement d’infrastructures pour répondre aux besoins des populations déjà très exposées aux conséquences du changement climatique.
Un déficit de logements décents et abordables
Les villes africaines peinent à suivre le rythme effréné imposé par l’urbanisation rapide observée. Bien qu’il existe des politiques de planification urbaine au niveau national (23 pays en 2021)[4], celles-ci ont une faible portée au niveau des villes où les politiques, les outils de planification et les ressources financières font défaut. Ce qui entraîne par conséquence un déficit de logements décents estimé à plus de 50 millions d’unités en 2018[5]. Pallier ce déficit nécessiterait la construction d’environ 160 millions d’unités supplémentaires d’ici 2050 (soit environ 20 000 logements par jour et cela si les logements existants sont réhabilités ou adaptés aux nouveaux besoins). Au Gabon, par exemple, ce déficit était évalué à 237 000 logements en 2021, dont près de la moitié (113 000) rien qu’à Libreville et sa province (soit 47 %)[6]. L’une des conséquences de ce manque de logements décents est l’inflation des prix des logements urbains. De ce fait, on note une explosion des logements informels considérés comme plus abordables.
Une explosion des logements informels précaires
Selon une étude, au Cameroun, la contribution des organismes étatiques tels que la Société Immobilière du Cameroun (SIC) ne constitue que 10 % de l’offre globale de logements, contre 90 % pour le secteur informel[7]. Le même constat est observé dans la plupart des pays africains, notamment au Burkina Faso. Ces logements informels se situent souvent dans des zones urbaines où les services de base tels que l’accès à l’eau, à l’assainissement et à la gestion des déchets ne sont pas assurés. En Côte d’Ivoire, une initiative portée par l’Association Eau et Vie-Côte d’Ivoire vise à améliorer les conditions de vie des familles des quartiers précaires à travers la construction de réseaux d’eau. Les couches vulnérables de la population, en particulier les jeunes, sont les plus touchées par cette crise du logement. Ces derniers se tournent vers les logements informels[8], souvent précaires et indécents. Pour aider les jeunes à se loger, l’initiative Ecosmart, portée par l’entreprise Vision-Net Ltd, a vu le jour en République démocratique du Congo. Elle vise à faciliter aux jeunes l’accès à un logement décent à travers la construction et la promotion de maisons préfabriquées durables. Au Sénégal, le gouvernement a lancé en mai 2023 le projet PHARD (Promotion d’un Habitat Abordable, Résilient et Durable). Ce projet vise à offrir des habitations décentes, abordables, saines et confortables dans un environnement urbain résilient pour une diversité de populations exclues du marché formel du logement social et des standards de construction. La mise en œuvre de ce projet soutiendra le plan de construction de 100 000 logements sociaux sur 5 ans.
Pour aller plus loin:
La menace des risques climatiques sur les populations et les habitats
La crise du logement est accentuée par les risques climatiques qui menacent près de 70 % des villes africaines, selon la Banque Africaine de Développement (BAD)[9]. En effet, les risques urbains liés au changement climatique comprennent l’élévation du niveau de la mer et les ondes de tempête, le stress thermique, les précipitations extrêmes, les inondations intérieures et côtières, les glissements de terrain, la sécheresse, l’aridité accrue, la rareté de l’eau et la pollution de l’air avec des impacts négatifs généralisés sur les populations (santé, moyens de subsistance[10]. Les populations vivant dans les logements informels sont les plus exposées. Dans ce contexte, les risques d’inondation sont l’une des principales menaces pour les populations urbaines africaines. Les inondations par exemple sont particulièrement dévastatrices et causent d’importantes pertes et préjudices surtout pour les populations vivant dans des logements informels. C’est le cas à Freetown en Sierra Léone, où un nombre considérable d’habitants vivent au sein de plus de 70 quartiers informels situés dans des zones à risques exposées aux inondations[11]. Par ailleurs, en octobre 2019, au Cameroun, « deux journées de pluies incessantes et torrentielles ont entraîné un glissement de terrain qui a emporté des maisons précaires construites à flanc de colline dans l’un des quartiers périphériques de la ville de Bafoussam »[12]. Plus récemment, le 08 octobre 2023, un éboulement consécutif à des pluies diluviennes a fait au moins 30 morts et 17 blessés à Mbankolo, un quartier de Yaoundé[13]. Entre 2020 et 2021, au Niger, 165 décès dus aux inondations ont été enregistrés selon l’Office national de météorologie du Niger[14]. Le stress thermique constitue également une menace très importante pour les villes où l’exposition à la chaleur est parfois aggravée par l’urbanisation rapide. Les quartiers informels sont souvent les plus exposés à ces variations extrêmes de température. Lors d’une vague de chaleur à Nairobi en 2015, par exemple, les quartiers informels étaient de 3 à 5 % plus chauds que la moyenne[15]. À cela s’ajoute la menace particulière qui pèse sur les villes côtières africaines. La plupart des grandes villes africaines se situent en bord de mer. Ce qui les expose à l’érosion côtière et aux risques liées à l’élévation du niveau des mers. C’est notamment le cas de Saint-Louis (Sénégal), Lomé (Togo), ou Lagos (Nigeria).
La planification urbaine est dépassée par la vitesse de l’urbanisation et de l’explosion démographique.
L’adaptation des territoires nécessite une projection à long terme, ainsi qu’un travail préalable d’observation et de diagnostic dans le cadre d’une démarche de planification urbaine s’appuyant sur des données. Cependant, la question des données pose plusieurs difficultés sur le continent notamment en termes de disponibilité, d’accès et de fiabilité. Même quand elles sont disponibles, les villes ne disposent pas toujours de compétences techniques pour les utiliser. Dans ce contexte, les cartographies du fait urbain en Afrique subsaharienne sont parfois fragmentaires. Elles dérivent souvent de projections faites à partir de données démographiques, certaines vieilles de plusieurs décennies, d’autres fondées sur des perceptions ou des dires d’experts qui parfois entretiennent des concepts dépassés, voire des mythes. Ce déphasage expose davantage les villes africaines et leurs populations aux risques climatiques évoqués. Le changement climatique complexifie davantage la tâche des villes africaines dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de planification urbaine. Les villes africaines manquent souvent de capacité experte pour planifier et développer des projets prenant en compte des enjeux climatiques[16]. Ce qui explique les difficultés des gouvernements locaux à intégrer les objectifs climatiques à la planification infrastructurelle urbaine.
2. Les villes africaines peinent à mobiliser des financements
Le sous-financement chronique dans les villes africaines
Les villes africaines, bien que participant à 60 % à la santé économique du continent[17], sont confrontées à des difficultés de financement. Avec l’urbanisation rapide et ses implications, les villes doivent en urgence planifier et déployer des politiques urbaines adaptées aux besoins en termes de logements, d’infrastructures urbaines, etc. Cependant, elles sont souvent freinées par des finances limitées. Selon un rapport conjoint de l’OCDE et de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), les pays africains[18] ne consacrent en moyenne que 14,1 % de leur budget aux gouvernements locaux alors que la moyenne mondiale (hors Afrique) est de 29,4 %[19]. Les villes font ainsi face à un « sous-investissement chronique qui a des répercussions négatives sur les politiques de développement notamment pour améliorer le quotidien des populations »[20]. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), les besoins d’infrastructure de l’Afrique se chiffrent entre 130 et 170 milliards de dollars US (Md$) par an, la majeure partie devant être investie dans les villes. On estime que les villes africaines ont besoin de 90 Md$ par an au moins pour être à la hauteur des besoins induits par l’urbanisation rapide[21].
Ces besoins sont exacerbés par l’impact du changement climatique qui nécessite la mise en place de mesures au niveau local telles que l’adaptation de l’habitat aux risques climatiques (inondations, le stress thermique, etc.). Selon les prévisions, entre 50 à 80 % des mesures nécessaires à l’adaptation des territoires au changement climatique peuvent être mises en place localement[22]. Dans ce contexte, les villes apparaissent comme les premiers acteurs de cette riposte. C’est le cas en Afrique où les villes sont considérées comme étant en première ligne dans la planification et le déploiement des stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Elles font cependant face à un épineux problème de financement causé par plusieurs facteurs tels que la faible capacité à mobiliser des ressources propres, la forte dépendance aux budgets nationaux, le faible investissement privé et le difficile accès aux financements climatiques internationaux.
Face à cette problématique, la facilité CICLIA (Cities and Climate in Africa)[23], financée par l’Union européenne, le Secrétariat d’État suisse à l’économie (SECO) et l’Agence française de développement (AFD), accompagne depuis 2017 une trentaine de villes africaines en finançant des études et de l’assistance technique dans tous les secteurs de la ville durable pour aider les collectivités locales d’Afrique à élaborer des projets contribuant à lutter contre le changement climatique. Le secteur privé peut également offrir des solutions aux problématiques rencontrées par les villes. C’est l’exemple de l’entreprise kenyane Acorn Holding[24] qui a émis des obligations vertes (green bonds) afin financer la construction de logements étudiants abordables et bas carbone. Cette initiative contribuera à la réduction du déficit de logements observé dans le pays notamment à Nairobi où environ 60 % de la population vit en bidonville.
Pour aller plus loin : Bonne Pratique : « la Facilité CICLIA (2017) »
La difficile mobilisation d’une fiscalité locale
L’élaboration, le financement et la mise en œuvre des projets de planification, d’adaptation de l’habitat par les villes dépendent en majorité de leur autonomie financière. Cette autonomie financière repose en grande partie sur la capacité des villes à mettre en place une fiscalité locale générant des entrées de fonds. Aux États-Unis par exemple, l’impôt foncier et immobilier représente 80 % des ressources propres des collectivités locales[25]. La même tendance est observée dans la majorité des pays développés où cet impôt représente 70 % des ressources propres des collectivités locales. En Afrique cependant, malgré son énorme potentiel, le levier fiscal est encore très peu utilisé par les villes. L’impôt foncier et immobilier y représente à peine 6 % des ressources financières locales[26]. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs tels que la faible décentralisation, l’absence de compétences techniques et institutionnelles et l’urbanisation rapide et ses implications. En effet, malgré le processus de décentralisation enclenché ces dernières années dans certains pays africains, les capacités administratives et fiscales des collectivités restent limitées. « La plupart des pays d’Afrique figurent parmi les moins décentralisés sur le plan fiscal », affirme un rapport de l’OCDE et des Nations Unies[27]. Les gouvernements nationaux ont accordé peu de pouvoirs budgétaires et fiscaux aux gouvernements locaux. Même lorsque certaines compétences ont été déléguées au niveau local, elles ne s’accompagnent souvent pas du transfert des budgets correspondants pour permettre aux villes d’exercer leurs compétences. Aussi, l’urbanisation rapide est un facteur qui handicape les villes dans la levée des impôts, comme les taxes d’habitation face au développement des logements informels. Une fiscalité locale opérationnelle pour les collectivités est donc intimement liée à la résolution de la problématique des logements informels. Dans ce contexte, la BAD a mis en place depuis 2019 un Fonds de développement urbain et municipal (UMDF)[28] afin d’aider les villes africaines à améliorer leurs finances locales, Par le biais du Guichet d’Accès au Financement pour les Municipalités, le Fonds propose une assistance technique à une sélection de villes destinée à améliorer les finances municipales, et optimiser leurs capacités à investir directement dans un développement urbain résilient, vivable et productif.
À cette initiative s’ajoute la plateforme SURGE[29] portée par la présidence égyptienne de la COP27, en collaboration avec ONU-Habitat et le réseau international de villes ICLEI. SURGE vise à renforcer la mise en œuvre de l’agenda climatique dans et avec les villes en débloquant le financement du climat urbain, en renforçant les capacités des acteurs, et en accélérant la technologie et l’innovation dans les villes et garantir l’équité.
Pour aller plus loin:
3. Des matériaux locaux et savoirs traditionnels sous-exploités
Les techniques de construction utilisées en Afrique sont calquées sur celles des pays au climat tempéré, et apparaissent peu adaptées aux climats tropicaux et sahéliens. Héritage d’une ère coloniale, certaines villes africaines sont marquées par des constructions d’inspiration occidentale, avec du béton et du vitrage. Ces matériaux d’usage récent comme le béton ou le verre nécessitent des étapes de transformation énergivores[30], l’émission d’importantes quantités de gaz à effet de serre et la génération de déchets dont certains sont fort polluants. Le béton, par exemple, consomme beaucoup d’énergie lors de sa production, participant au réchauffement planétaire par ses émissions de carbone en particulier du fait de l’usage du ciment entrant dans sa fabrication. La production annuelle du ciment utilisé représente 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et a augmenté de 80 % en dix ans[31]. Ce chiffre pourrait être multiplié par trois d’ici 2050 si la tendance n’est pas inversée.
Du fait de ces matériaux, le secteur du bâtiment est cité comme étant l’un des plus énergivores, surtout en milieu urbain. En Tunisie par exemple, selon l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (ANME), le secteur du bâtiment risque de devenir l’un des premiers consommateurs d’énergie du pays en 2030[32]. Une tendance qui s’est généralisée sur le continent africain, où 75 %[33] de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre en Afrique est issue d’activités liées au bâtiment. Ces émissions proviennent principalement des activités d’importation et de production des matériaux à forte intensité de carbone tels que l’acier, le ciment, etc…Ces émissions pourraient augmenter à cause des besoins en énergie pour le refroidissement des bâtiments. Plusieurs architectes comme Diébédo Francis Kéré[34] plaident depuis des années pour un recours aux techniques et matériaux traditionnels de construction plus adaptés au contexte local africain et moins consommatrices d’énergies fossiles.
En Afrique de l’Ouest, on compte encore aujourd’hui 30 % de logements construits avec des méthodes traditionnelles, comme des murs en briques séchées, des supports en bois et un toit en terre, chaume ou bois[35]. Cette tendance identifiée principalement en milieu rural pourrait s’étendre au milieu urbain au regard des nombreux avantages observés. En effet, sur le plan environnemental, le recours aux matériaux locaux de construction approvisionnés et produits de manière durable a le potentiel de réduire la pression sur les ressources globales et les écosystèmes[36], de préserver l’environnement et les ressources locales par leur valorisation et leur bonne gestion.
À cause du secteur de la construction en Afrique et plus globalement dans le monde, plusieurs ressources non renouvelables s’épuisent à une vitesse inquiétante. C’est le cas du sable marin dont l’extraction excessive a un impact désastreux sur les écosystèmes marins avec des conséquences telles que la perte de biodiversité, l’érosion côtière, l’abaissement des nappes phréatiques, la salinisation des sols[37]. Ce qui amplifie les vulnérabilités des territoires africains notamment des villes côtières face au changement climatique.
Aussi, les matériaux locaux africains ont le potentiel d’atténuer les effets des changements climatiques[38] en réduisant l’emploi de matériaux importés et à forte teneur en carbone (tels que le ciment) et en permettant l’adoption de systèmes de construction à faibles besoins énergétiques. Au Sénégal, c’est l’un des objectifs poursuivis par le projet TyCCAO (Typha Combustible Construction Afrique de l’Ouest)[39] qui travaille à valoriser des techniques de construction traditionnelles utilisant le typha comme matériau clé. Ce qui a pour avantage de réduire les coûts en matériaux et d’optimiser les performances thermiques des bâtiments.
Sur le plan socio-économique, recourir aux procédés et matériaux locaux permettrait aux villes africaines de répondre aux besoins grandissants en matière de logements décents, durables et adaptés au changement climatique[40]. Ce choix serait aussi un canal de valorisation des ressources, savoir-faire locaux dans les villes africaines. Cela pourrait renforcer les économies nationales et territoriales tout en réduisant leur dépendance face aux variabilités globales. Le recours à ces matériaux a également le potentiel de revitaliser le tissu socio-économique des villes africaines et de créer et valoriser les métiers « verts » promus par certaines initiatives lancées à la COP27 telles que le Pacte pour la jeunesse et l’African Women’s Climate Adaptive Priorities (AWCAP)[41].
Enfin, sur un plan culturel, le recours aux méthodes et matériaux traditionnels représente une opportunité de préserver les patrimoines architecturaux et paysagers africains, de valoriser la diversité des savoirs et savoir-faire locaux tout en favorisant l’émergence de nouvelles architectures durables et contemporaines alliant savoir-faire ancestraux et innovation durable. Plusieurs défis restent cependant à relever pour que ces procédés et matériaux locaux soient déployés à grande échelle dans les villes africaines. D’une part, la main-d’œuvre qualifiée dans ce domaine n’est pas toujours disponible, les professionnels étant formés aux techniques plutôt occidentales. D’autre part, avec l’arrivée desdites méthodes de construction occidentales[42], les constructions basées sur les matériaux traditionnels sont progressivement tombées en disgrâce au point d’être perçues comme archaïques par une partie des populations urbaines. Pour inverser la tendance, quelques initiatives portées par des acteurs non étatiques existent sur le continent. C’est le cas de l’association Voûte Nubienne[43] qui contribue au développement d’une filière bas-carbone, utilisant des matériaux et des savoir-faire locaux, dans le respect de l’environnement. Elle stimule la diffusion d’un marché de l’habitat adapté et résilient au Sahel par le déploiement de la méthodologie d’AVNJ.
Pour aller plus loin:
4. Les villes africaines sont confrontées à un déficit énergétique important
L’accès à l’énergie est l’un des grands défis du continent africain notamment pour les villes qui présentent l’un des taux d’accès à l’électricité les plus faibles au monde. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité en Afrique et, sans mesures supplémentaires, 565 millions de personnes seront toujours sans accès à l’électricité en 2030[44]. Ce déficit énergétique est encore plus complexe dans les villes africaines où l’urbanisation rapide et la croissance démographique[45] mettent la pression sur des réseaux énergétiques déjà fragiles. En Afrique subsaharienne, par exemple, 55 % de la population urbaine habite dans des bidonvilles et se retrouve souvent sans raccordement à un réseau électrique, ou sont alimentés grâce à un branchement illégal et potentiellement dangereux[46].
Ces évolutions auront un impact sur la demande totale en électricité du continent, « car les ménages citadins consomment en moyenne environ trois fois plus d’électricité que les ruraux »[47]. Selon les prévisions, le déficit de production électrique pourrait s’accroître avec la hausse de la demande d’électricité de toute l’Afrique de 75 % d’ici à 2030[48]. Les conséquences de ce déficit sur les villes africaines et leurs habitants sont nombreuses. En effet, l’accès insuffisant aux services énergétiques modernes cause des centaines de milliers de décès chaque année dus à l’utilisation de poêles à bois pour cuisiner[49]. Ce déficit complique le bon fonctionnement des hôpitaux et des services d’urgence du fait des pénuries d’électricité. Il compromet également le développement économique des villes et de leurs entreprises. Par exemple, le coût effectif moyen de l’électricité pour les entreprises manufacturières en Afrique est proche de 0,20$ par kWh, soit un coût environ quatre fois plus élevé que les tarifs industriels pratiqués ailleurs dans le monde[50]. Par ailleurs, selon les estimations, chaque année, les pénuries d’électricité coûtent à l’Afrique environ 2 à 4 % de son produit intérieur brut (PIB)[51].
Par ailleurs, bien que la contribution du continent au réchauffement climatique reste relativement faible par rapport au reste du monde, le secteur de l’énergie reste la première source d’émissions de GES en Afrique à cause du recours massif aux énergies fossiles[52] notamment pour alimenter les villes et leurs bâtiments. On estime que 75 % de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES) en Afrique sont issus d’activités liées au bâtiment[53]. Selon ONU-Habitat, « les villes comptent pour 78 % de la consommation énergétique mondiale et produisent plus de 60 % des émissions de gaz à effet de serre »[54]. Dans un contexte marqué par le réchauffement climatique qui appelle une transition énergétique, l’Afrique fait le choix d’intégrer le développement des énergies renouvelables dans sa politique énergétique pour rattraper son retard et réduire sa dépendance aux énergies fossiles. À cet effet, les villes peuvent jouer un rôle de premier plan au regard du potentiel du continent africain. En effet, l’Afrique possède 40 % du potentiel mondial de production d’énergies renouvelables, estimé à 2 431 765 térawatts/heure/an (TWh/an)[55]. Le continent possède par exemple 60 % des ressources solaires mondiales avec un rayonnement annuel variant entre 5 et 7 kilowatts/heure/mètre carré (KWh/m2). Pourtant, seules 1,3 des infrastructures de production photovoltaïques mondiales sont situées sur le continent. Le potentiel de production éolien du continent est estimé à 978 066 TWh/an[56]. Cependant selon le rapport de la fondation Mo Ibrahim, l’éolien est encore largement inexploité en Afrique (0,01 % de son potentiel)[57].
Avec leur impact à grande échelle, les villes sont les mieux placées pour planifier, développer et construire un avenir basé sur les énergies renouvelables[58]. Grâce au soutien d’initiatives telles que la Convention des Maires pour l’Afrique subsaharienne (CoM SSA), elles sont de plus en plus nombreuses à se doter de plans climat/énergie afin de mieux planifier leur développement. C’est le cas de la ville de Nouakchott, qui a élaboré un Plan d’action Accès à l’Energie Durable/ Climat avec l’appui financier de l’Union européenne[59]. Malgré l’élaboration de ces différents plans et stratégies, faute de ressources financières, certaines villes africaines peinent à développer les infrastructures d’énergies renouvelables nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques malgré le potentiel énergétique du continent. Face à cette situation, certaines villes se tournent de plus en plus vers des outils tels que les contrats d’achat d’énergies renouvelables[60] qui facilitent l’installation de producteurs indépendants d’énergie en Afrique et accroissent la production renouvelable.
Pour aller plus loin:
5. La gouvernance foncière au cœur de nombreux manquements dans les villes africaines
La gouvernance foncière est un élément clé dans la planification urbaine et le développement des villes dans un contexte marqué par le changement climatique et ses conséquences sur les territoires. Il s’agit d’une question transversale car elle affecte quasiment tous les domaines de la vie urbaine tels que les logements, les infrastructures routières et de transport, l’accès à l’énergie, les activités économiques, etc[61]. Une gouvernance foncière maitrisée permet par exemple de mettre en place une fiscalité foncière opérationnelle et efficace. En Afrique, la gouvernance foncière en particulier en milieu urbain est marquée par une mauvaise maitrise du foncier. Ce qui entraine des conséquences à la fois sur le développement des villes mais aussi pour leurs habitants. Cela s’explique d’abord par les contradictions entre les politiques et lois foncières (élaborées par les autorités nationales et locales) et les pratiques coutumières culturellement enracinées[62]. En effet, la plupart des régimes fonciers en Afrique se caractérisent par une certaine complexité née de la cohabitation entre le droit coutumier et droit moderne. Cette situation fragilise la gestion foncière et génère de nombreux litiges du fait des chevauchements de propriétés.
La mauvaise gouvernance foncière en Afrique s’explique aussi par des marchés fonciers dynamiques[63] mais mal régulés qui sont les principaux mécanismes d’affectation des sols à leur usage le plus productif[64]. Cette mauvaise régulation génère de nombreuses conséquences telles que les mauvaises affectations des terres et le recul de la planification dans les villes. Selon ONU-Habitat le taux de planification des villes dans le monde est passée de 80 % des villes planifiées au début du XXe siècle à la moitié aujourd’hui[65]. On note aussi comme conséquence, la hausse des prix du foncier notamment dans les villes africaines. Cette hausse des prix aggrave les inégalités sociales en réduisant les chances des populations pauvres d’acquérir des terres et de construire des logements décents. Cette situation affecte les conditions de vie des populations vulnérables qui se tournent donc vers des solutions informelles, parfois plus dangereuses telles que l’acquisition de terres dans des zones inondables. Selon une étude, 50 à 70 % des terres destinées au logement dans les villes africaines proviennent de sources informelles[66].
Enfin, la gouvernance foncière dans les villes africaines se caractérise aussi par des réglementations inadaptées ou irréalistes. Il s’agit la plupart du temps de textes complexes, en particulier sur la propriété foncière, qui entravent le droit d’accès aux biens fonciers d’une partie de la population dont les femmes et découragent le développement formel des centres villes[67]. Les cadastres sont lacunaires et les plans d’urbanisme sont très inefficaces, notamment parce qu’ils ne sont pas toujours adaptés à la réalité ou parce que leur mise en œuvre est faussée à cause des plusieurs facteurs tels que les ressources financières et humaines, ou encore des pratiques douteuses[68].
Source : www.climate-chance.org