Pour les visiteurs comme pour les résidents de Tunis, la disparition rapide d’édifices historiques dont est victime la ville ces dernières années est le motif d’une grande tristesse. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’un problème propre à la Tunisie et à sa capitale, mais c’est un phénomène de tous les centres urbains subissant une rapide transformation. Certes, il existe une liste de monuments et grands édifices religieux et historiques qui doivent être protégés, mais, en dehors de cette liste, demeurent des centaines voire des milliers de propriétés privées sans la moindre protection contre leur démolition. Dans ce sens, il y a une zone de Tunis où le rythme de maisons détruites pour construire de nouveaux édifices est, malheureusement, de plus en plus rapide, il s’agit de la zone située près de la Place Pasteur, à la fin de l’Avenue de la Liberté, entre la Place d’Afrique, l’hôtel El Mechtel et Le Passage. Si ce processus n’est pas bloqué d’une manière ou d’une autre, très prochainement peu de villas historiques subsisteront dans cette zone. La plupart de ces villas, démolies parce qu’elles étaient abandonnées ou pour des raisons de spéculation, sont remplacées par des blocs de bureaux ou d’appartements qui n’ont rien à voir, tant au niveau esthétique que des dimensions, avec les villas originelles.
Justement, pour éviter ce phénomène lamentable et mettre l’accent sur la nécessité de protéger le patrimoine historique et artistique immobilier, diverses stratégies ont été élaborées dans différentes régions du monde, commençant toujours par l’établissement, par les autorités chargées de l’urbanisme, d’un catalogue des édifices à conserver coûte que coûte.
Il est à signaler qu’en Espagne, par exemple, à Madrid et dans les autres grandes villes, durant les années 60 et 70, qui ont été une phase de construction de grande intensité, on n’a pas fait ce qu’il fallait pour trouver le juste équilibre entre cette croissance rapide et la nécessaire permanence du passé. Des années plus tard, des cris d’alarme ont été lancés, au moment où même les citoyens ont propagé l’idée que de bas intérêts économiques et immobiliers étaient en train de faire disparaître non seulement des édifices emblématiques mais aussi des quartiers entiers qui étaient partie intégrante de l’histoire d’Espagne.
C’est pour cela que dans diverses capitales de province on été mis en exécution plusieurs plans spéciaux de protection comprenant l’établissement de la liste d’un grand nombre d’édifices historiques, ainsi que des mesures administratives comme l’incitation fiscale ou la subvention municipale pour la restauration, avec l’implication et l’aide d’autres administrations étatiques ou locales.
Il serait redondant d’affirmer que, quand nous visitons une ville ou que nous y vivons, ce que nous y voyons, au-delà de ses gouvernants ou systhèmes politiques, ce sont ses constructions les plus remarquables, qui constituent le côté le plus visible de son patrimoine culturel et le souvenir le plus essentiel de l’histoire de cette ville. Il s’agit là, en plus de ceux écrit, enregistré ou filmé, de l’héritage irremplaçable légué aux générations futures.
Ce qui est sûr c’est que la plupart des villas et maisons qui jusqu’à présent ont échappé à la démolition à Tunis, et précisement dans la zone en question, celle voisine du Parc du Belvédère, l’ont été soit parce qu’elles sont encore habitées, soit parce qu’on en a fait un usage bien déterminé et pour cela elles ont été réhabilitées. Un exemple remarquable de cette transformation est la Tunisian International Bank (TIB), dont le siège est situé à l’Avenue des États-Unis d’Amérique, un édifice magnifique constituant un modèle de restauration d’une villa du début du XXème siècle et son intégration dans un édifice moderne situé dans la partie arrière où sont les bureaux. De même, on peut citer d’autres exemples de magasins de décoration, d’associations, d’ambassades, de petites cliniques spécialisées telle celle de radiodiagnostic située juste en face de la TIB, etc.
Un autre exemple tout aussi remarquable est celui de l’Institut Cervantès, situé au 120 Avenue de la Liberté. De récents travaux d’extension de cet Institut ont été réalisés en respectant scrupuleusement le style de la façade de cette villa de 1920 acquise par l’Espagne dans les années 70 pour en faire le siège du Centre Culturel Espagnol de Tunis, où sont dispensés à longueur d’année des cours d’espagnol et où ont lieu des conférences, des colloques, des présentations de livres, des récitals musicaux ou poétiques, etc. Ces travaux d’extension, faut-il le souligner, sont à peine perceptibles de l’extérieur et ils n’ont nécessité aucun renforcement de la structure, l’édifice étant solide et sa construction de qualité.
Tout cela peut être appliqué aux autres villas de la zone concernée où un réaménagement fonctionnel et une remise à neuf générale sont suffisants pour les rendre habitables ou, à la fois, habitables et à usage commercial ou administratif. Certaines entreprises, quelques institutions et un secteur de la société commencent à être sensibles à l’idée de réhabilitation d’édifices anciens. Il est vrai qu’il s’agit d’une tâche ardue et que dans un pays connaissant une rapide transformation socio-économique comme la Tunisie, des actions de ce genre doivent être appuyées non seulement par certains professionnels ou une élite peu nombreuse, mais aussi par une partie des habitants de la zone et par la ville en général, qui doivent tenir à la préservation de leur patrimoine historique. Sans cela, rien ne pourra être fait.
Texte : Carlos Varona, ancien directeur de l’institut Cervantès de Tunis
* Par bonheur, des livres traitant de ce sujet ont été édités : Tunis. L´Orient de la Modernité. Charles, Bilas (Èditions de l´Eclat. Paris, 2010).
L´Art Nouveau à Tunis (1900-1905), Luca Quattroci (Agence de mise en valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle, Tunis 1998)
Article paru dans Archibat n°31 – Mai 2014