Cet article aborde d’une façon non exhaustive la première décennie de la production architecturale d’Olivier-Clément Cacoub en Tunisie à travers quelques projets phares. Tout juste après avoir quitté l’Académie de France à Rome où il a été pensionnaire de 1953 à 1957, Cacoub est architecte-conseil de la Présidence tunisienne. En 1958, il achevait le Marché municipal et le Stade de Monastir amorçant ainsi la métamorphose de la ville, voulue par Habib Bourguiba.
Formation et tendances
Olivier-Clément Cacoub, d’origine tunisienne, a grandi à Tunis dans une famille juive d’entrepreneurs. Il se fait embaucher dans sa jeunesse comme coursier occasionnel chez un architecte français installé en Tunisie. À son contact, il se passionne pour l’architecture et décidera d’intégrer l’Ecole des Beaux-arts de Tunis pour en apprendre le métier. Il rejoindra par la suite l’Ecole des Beaux-arts de Paris, pour, après quelques tentatives, remporter le Premier Grand Prix de Rome en 1953 qui récompense les meilleurs élèves des académies des Beaux-arts dans toutes disciplines. Cacoub est donc le produit de ce cursus académique prestigieux, qui a connu à partir de l’entre-deux guerres une ouverture sur les nouvelles tendances de l’architecture.
Durant son séjour à la Villa Médicis1, Cacoub commence déjà à avoir quelques projets et notamment un premier projet en Tunisie, un centre d’accueil pour enfants2 à Ksar-Saïd conçu à partir de 1954, dans un pays encore sous protectorat français, et achevé en 1958.
Un contexte favorable
L’architecte qui fait la connaissance d’Habib Bourguiba, nouveau président de la République tunisienne grâce à Wassila Ben Ammar3, va entretenir très vite une relation de confiance et de complicité forte avec le président. La volonté de Bourguiba de développer le pays va pousser l’état à mettre en place des stratégies de modernisation qui touchent tous les domaines, santé, éducation, jeunesse, économie et infrastructure. Certaines villes tunisiennes vont voir une partie de leur tissu urbain modifié pour lutter contre la gourbification combattue par Bourguiba ou afin de le moderniser.
La production architecturale et urbaine tunisienne de Cacoub, dense, et son omniprésence dans les premières décennies du règne de Bourguiba, vont lui permettre de développer une influence au-delà des frontières du pays, en Afrique mais aussi en France.
Premières œuvres (1958-1970)
Monastir, des architectures nouvelles pour une ville remodelée
Bourguiba va confier à son architecte-conseil une première mission, celle de donner à sa ville natale de Monastir, un nouveau visage plus moderne. Cacoub va donc concevoir plusieurs bâtiments : lycée, stade, municipalité, marché, et un remodelage de la médina, le bled. Le tissu traditionnel va subir des altérations importantes afin d’y faire accéder la voiture et d’en faire une ville moderne. Cette intervention s’inscrit dans le droit fil des projets de percées des tissus médinaux en vogue depuis la fin du XIXème siècle. Les projets de percée réalisés ou non ont eu une réception assez négative de la part de la population en Tunisie. Le plan d’aménagement de la ville de Monastir est confié à l’architecte en 19614.
En 1958, Cacoub achève la construction du Stade de Monastir qui sera connu par la suite sous le nom de Stade Mustapha Ben Jannet. Son programme est simple, composé d’un terrain de football et de tribunes sous lesquelles on trouve les espaces techniques et les vestiaires. La structure en béton armé de 10 portiques en bec d’oiseau comme les décrit l’architecte porte en porte-à-faux des voûtes surbaissées en guise de couverture de gradins.
En 1960, Cacoub livre le nouveau bâtiment de la Municipalité de Monastir. L’édifice situé au centre-ville en face des remparts de la Médina, présente une architecture épurée. Le rez-de-chaussée est revêtu d’un parement en pierres naturelles irrégulières et abrité par une galerie créée par l’avancement de l’étage supérieur. Cet étage présente une longue série de fenêtres hautes rythmée par des brise-soleil verticaux en forme de trapèzes rectangles posés en quinconce qui donnent au volume blanc un aspect formel contemporain. L’auvent de l’entrée, légèrement évasé, soutenu par quatre piliers massifs revêtus en marbre travertin, est bordé d’une mosaïque de carreaux dorés caractéristiques des années 1960.
La Résidence d’été présidentielle de Skanès ou Palais de Marbre « Qasr el marmar » est construit en 1962 par Olivier-Clément Cacoub pour le Président Habib Bourguiba dans sa ville natale de Monastir. Ce palais s’inscrit dans un vocabulaire architectural qui répond en certains points aux préceptes modernistes (toit terrasse, façade libre, fenêtres en bandeau), mais qui, pour ce qui est de la décoration intérieure, s’inspire ouvertement des traditions constructives locales et régionales comme la dentelle de marbre et l’intégration dans l’architecture de tapisseries de carreaux de céramique peints.
Ces tableaux de céramiques signés par les plus grands noms de l’art tunisien font penser au 1% artistique5 réservé aux œuvres d’art dans les projets architecturaux publics en France. Cacoub fera intervenir fréquemment des artistes contemporains dans ses projets.Le plan du palais est carré entourant un patio dont deux des façades sont constituées d’une série de colonnades monumentales ouvrant l’édifice sur le paysage.
L’enceinte du Palais du Marbre renferme dans son jardin, face à la mer, 5 bungalows sur pilotis à la forme moderne. À l’époque, ces constructions servaient de logement pour les invités du couple présidentiel. Ils ont d’ailleurs été construits avant le Palais dont la construction a débuté en 1958. Cacoub présente avec ces bungalows une réinterprétation des préceptes architecturaux modernes agrémentés de détails constructifs qui les intègrent au climat et au site. Les terrasses qui les entourent et les toitures largement débordantes permettent de jouir d’une qualité ambiantale particulière6.
Autre édifice remarquable de la ville de Monastir, l’actuel Palais des Sciences, qui à l’origine était le Palais des Congrès de la ville. Construit en 1965, il présente une silhouette assez particulière dans le tissu urbain de Monastir. Dictée par la forme de la salle de 1200 places, la forme circulaire du Palais est bordée d’une galerie-foyer dont la couverture en béton armé fine en zigzag est soutenue par une double série de piliers, en V à l’intérieur et simples en périphérie. L’originalité de cette architecture qui réside aussi dans les parois translucides de la salle, est parachevée par « un jeu de claustras, véritable fresque abstraite »7 selon Cacoub.
La galerie abrite une série de cinq bas reliefs signés par Abdelaziz El Gorgi qui représentent les arts, la musique et la danse.
Tunis, des architectures symboles
À Tunis, les stratégies politiques de développement et de modernisation sont encore plus accentuées puisque la capitale doit représenter et symboliser le développement auquel est arrivé le pays une dizaine d’années après l’indépendance. Les architectures de Cacoub y sont multiples mais nous nous intéresserons à trois exemples : L’Auberge de la Jeunesse au Belvédère (1964), La Cité Nationale Sportive d’El Menzah (1967) et le célèbre hôtel Africa (1970).
L’Auberge de la Jeunesse fait partie d’un complexe pour la jeunesse imaginé à partir de 1960 par Olivier-Clément Cacoub pour le compte de la Direction de la Jeunesse et des Sports. Le terrain est un vaste triangle aux abords du Parc du Belvédère, bordé au nord-est par l’ancienne avenue Lesseps devenue Jugurtha et par le Stade du Belvédère devenu Stade Chédly Zouiten par le nord-ouest. Trois programmes devaient s’y implanter : l’Auberge de la Jeunesse, la Maison des Jeunes et la Maison des Sports.
Seule l’Auberge de la Jeunesse sera finalement construite en 1964. Elle se situe dans la pointe basse du terrain. Des années plus tard le bâtiment des Scouts tunisiens sera bâti à l’emplacement prévu pour la Maison des Jeunes. Aujourd’hui l’Auberge de la Jeunesse est le siège de la Direction Générale de l’Education Physique, de la Formation et de la Recherche du Ministère de la Jeunesse et des Sports.
Étroit et long rectangle de 70 m, l’Auberge s’adapte au relief du terrain et bénéficie d’un sous-sol partiel et de deux niveaux. L’entrée se fait par l’avenue du Stade.
Le programme est simple, des dortoirs de filles et de garçons séparés par un foyer central, et les espaces de services comme la cuisine et les sanitaires. Sur les deux façades principales les fenêtres sont en bandes presque continues protégées par des brise-soleil verticaux plus fréquents sur la façade sud-ouest.
Autre programme destiné à promouvoir la jeunesse, la Cité sportive nationale d’El Menzah, inaugurée en 1967 à l’occasion de la 5ème édition des Jeux Méditerranéens qui s’est tenue à Tunis.
Conçue en collaboration avec la coopération bulgare, la cité sportive se compose d’un Stade Olympique, d’un Palais des sports et d’une Piscine olympique, le tout disposé dans un grand parc urbain. L’étude de ce projet national commence en 1961 par Olivier-Clément Cacoub puis il sera rejoint en 1963 par une équipe d’experts bulgares.
La coopération bulgare permet de financer une partie de la construction de la Cité Sportive et de mettre à la disposition des tunisiens, des architectes, des ingénieurs et l’entreprise de construction. Cacoub collaborera donc avec l’équipe de concepteurs bulgares Bulgarprojet dont l’architecte Zidarov et avec les ingénieurs Stoyanov (Palais des sports), Baltov (piscine) et Mirichev (Stade). La construction de l’ensemble se fera par l’entreprise bulgare Technoexportstroy sous le contrôle de la Direction des Grands Travaux du Ministère de l’Equipement et de l’Habitat tunisien8.
Les années 1970 commencent par l’édification d’une architecture symbole de la modernité du pays, le premier immeuble de grande hauteur à Tunis, l’hôtel Africa. Conçu en association avec Jason Kyriacopoulos et H. Brunner, l’Africa qui se dresse sur l’artère principale de la capitale l’Avenue Habib Bourguiba, présente un premier bâtiment parallélipédique en béton de cinq étages qui s’inscrit dans le gabarit de ses voisins directs et qui est le socle à partir duquel s’élance la tour de 17 étages en ossature métallique.
À son ouverture, l’Africa se composait d’un centre commercial, d’un cinéma, d’une salle de congrès, de bureaux, d’un restaurant panoramique et d’un hôtel de 180 chambres. Comme c’est le cas pour d’autres bâtiments construits sur l’Avenue Habib Bourguiba, les travaux de constructions ont été un véritable défi pour les concepteurs et les entreprises. Les pieux de 40 mètres qui constituent les fondations ont été difficiles à mettre en place en raison du sol vaseux et instable qui les faisait se déplacer ou disparaitre. L’Africa avec ses formes simples renfermait tout de même une œuvre artistique remarquable dans son hall de réception, les fontaines en mosaïques de Charles Gianferrari, aujourd’hui disparue.
Conclusion
Ces quelques projets architecturaux édifiés dans les dix premières années de la carrière d’Olivier-Clément Cacoub en Tunisie montrent son inscription dans le mouvement global de l’architecture moderne. Ils rendent compte d’une architecture moderne, parfois simple par sa mise en œuvre et sa conception liées à des conditions de réalisation particulières (obligation de construire vite et avec des moyens limités) et parfois plus élaborée quand les budgets sont plus confortables comme c’est le cas pour le Palais de Skanès ou l’hôtel Africa.
Comme le souligne l’architecte dans l’introduction de son livre Architecture de soleil, « Mon souci majeur était de répondre au besoin impérieux de modernisation dans un esprit particulier, conforme au génie national du pays et à son héritage culturel. »9. Cette inscription culturelle dans le pays, revendiquée surtout par Bourguiba, va être mise en œuvre par l’architecte dans sa production tunisienne de représentation comme le Palais présidentiel de Carthage (1962) ou le Mausolée de Bourguiba (1963).
Par Emna Touiti, architecte, doctorante ENAU
1 – Siège de l’École française de Rome
2 – Archives Nationales de Tunisie, référence : M-M3-15-445. Ce centre est aujourd’hui le siège de l’Institut National de Protection de l’Enfance de Manouba
3 – Selon Chédly Klibi, témoignage consigné dans son livre « Habib Bourguiba radioscopie d’un règne ». Wassila Ben Ammar épousera Habib Bourguiba en 1962.
4 – Cacoub présenta en 1963, un plan des voieries du centre-ville. In Rapport « Voieries de Monastir », étude préliminaire réalisée d’après le plan d’aménagement de Monastir d’Olivier-Clément Cacoub, par la SOTUETEC et SETEC en 1964. Archive des Services Techniques de la Municipalité de Monastir.
5 – Le 1% artistique est une disposition légale française qui, depuis 1951, réglemente la création d’œuvres artistiques contemporaines associées aux projets architecturaux publiques. Cette disposition a été utilisée par l’équipe de la Reconstruction en Tunisie.
6 – Article « Les bungalows de Skanès, un modernisme du sud. Un exemple d’architecture moderne au sud de la méditerranée », Emna Touiti, Al-Sabîl n°7, 2019.
7 – Olivier-Clément Cacoub, Architecture de soleil, Cérès Productions, 1974, p 56.
8 – Abdelhamid Sassi, Ministre technocrate, deux décennies d’édification de la Tunisie (1960-1980), à partir d’entretiens conduits par Tijani Azzabi, Sud Éditions, 2021, p54.
9 – Olivier-Clément Cacoub, p12
Article paru dans Archibat n°60 – Mars 2024, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/nouveau-numero-disponible/