Parmi tous les critères qui peuvent être évoqués dans une démarche conceptuelle d’un projet de construction ou de rénovation, « le confort » à l’intérieur du bâtiment, qu’il soit résidentiel ou tertiaire, est devenu de nos jours incontournable. Et ce indépendamment de son site environnemental (urbain ou rural), de son lieu géographique (Nord, Centre ou Sud de la Tunisie) ou de son cachet architectural (moderne ou traditionnel).
Cette notion de confort englobe la thermique, l’hygrométrie, l’acoustique, la ventilation, l’éclairage, la production d’eau chaude et tout autre élément améliorant la qualité de vie dans un bâtiment. Ces normes de confort sont actuellement de plus en plus réclamées et souvent même exigées de la part des propriétaires des bâtiments résidentiels et des maîtres d’ouvrages des bâtiments tertiaires. Cependant, avec la hausse du prix du pétrole et par conséquent des dépenses énergétiques, certains de ces éléments, comme les systèmes d’éclairage, de chauffage et de climatisation, ainsi que la production d’eau chaude sanitaire, sont devenus des sources d’une grande consommation énergétique. D’où la prise de conscience actuelle de l’importance d’une utilisation rationnelle de l’énergie.
Dans ce contexte, depuis 1991, un projet de « Réglementation thermique et énergétique des bâtiments neufs en Tunisie » a été lancé par l’ANME. Ce projet est passé par un long processus avec plusieurs phases dont notamment celles de 1997-2000 puis de 2001-2005. Il a abouti, entre autres, à l’élaboration d’un « guide pratique de conception des logements économes en énergie » et d’un ouvrage sur « l’initiation à une réglementation thermique et énergétique des logements neufs », accompagnés de « guides techniques sectoriels » et de logiciels de calcul thermique, ainsi que d’actions concrètes visant à réaliser des bâtiments pilotes économes en énergie. Une loi sur la maîtrise de l’énergie a été publiée dans le journal officiel depuis le 2 août 2004, elle oblige tous les nouveaux bâtiments à se conformer à des spécifications techniques réglementaires. Enfin, un arrêté ministériel portant approbation du cahier des charges relatif à l’audit énergétique sur plan dans les secteurs résidentiel et tertiaire a été publié au journal officiel le 15 Juin 2007. En Tunisie, le secteur du bâtiment, qui est en plein essor, n’est pas en train d’adopter, comme il se doit, une démarche associée de confort thermique et d’économie d’énergie. En effet, un constat s’impose : le confort thermique tel que conçu, réalisé et utilisé actuellement ne semble pas trop se soucier de l’économie d’énergie. Beaucoup de progrès restent à faire afin d’atteindre les objectifs de maîtrise de l’énergie dans le secteur de la construction.
POUR UNE ISOLATION PERFORMANTE
Certes, une maîtrise parfaite de l’isolation thermique est loin d’incarner une démarche facile, d’autant plus qu’une multiplicité de facteurs y interviennent tels que les matériaux et les systèmes constructifs ainsi que l’étanchéité et la ventilation des locaux. Il est donc important d’octroyer plus d’attention aussi bien de la part des concepteurs que des constructeurs et des maîtres d’ouvrages à cette nouvelle approche d’isolation thermique économe sans déperdition d’énergie, aussi bien en hiver qu’en été. En termes d’innovation technologique, nous observons ces dernières années une invasion de produits et de systèmes d’isolation thermique qui, cependant, ne sont pas prescrits ou utilisés à bon escient. Ceci est notamment dû à une connaissance non approfondie de ces produits par les concepteurs et à un manque flagrant de technicité et de qualité de mise en œuvre de la part des constructeurs. Concernant le manque de maîtrise technologique de l’isolation thermique, aussi bien en amont de la part des concepteurs qu’en aval de la part des constructeurs, il est clair que la mise en place de nouvelles filières d’enseignement et de formation est devenue plus que nécessaire. A l’université, on pourrait envisager des filières de maîtrise d’œuvre et de technologies en architecture et en ingénierie. Au niveau de la formation professionnelle, de nouvelles spécialisations et qualifications en bâtiment seraient à prévoir. La recherche scientifique dans ce domaine, à travers les sujets de mastère et de doctorat ainsi que les travaux des unités et des laboratoires, devrait être plus orientée vers la relation étroite du contexte actuel et réel du bâtiment en Tunisie. L’exigence de l’isolation thermique nécessite aussi des progrès considérables à faire afin de généraliser des systèmes constructifs tels que les vitrages peu émissifs, les rupteurs de ponts thermiques dans les châssis de fenêtre en aluminium et les correcteurs des ponts thermiques dans les éléments de structure et de maçonnerie. Il faut relever cependant un point positif à mettre à l’actif de la promotion des énergies renouvelables et qui concerne la production d’eau chaude sanitaire par les capteurs solaires. Nous assistons en effet à une certaine évolution au niveau de son adoption par les consommateurs et de sa maîtrise technologique par les installateurs1.
Quant aux matériaux et aux systèmes constructifs en Tunisie, une certaine stagnation marque le secteur. Les actions d’innovation de la part des industriels semblent très rares. Les seuls efforts sont plutôt concentrés sur la mise à niveau globale de l’industrie des matériaux de construction avec notamment l’augmentation des productions en raison de la demande sans cesse croissante, sans une véritable approche d’optimisation des consommations énergétiques (énergie grise) et du degré d’émission de CO2 en cours de fabrication. Par ailleurs, il faudrait relever une attitude plutôt rigide de la part des bureaux de contrôles et des décideurs publics vis-à-vis de nouveaux procédés de construction.
VERS UNE DÉMARCHE CONCEPTUELLE ET DE MAÎTRISE TECHNOLOGIQUE
Les attitudes qui devraient êtres adoptées afin d’allier « Confort thermique » et « Economie d’énergie » relèveraient à la fois d’une démarche conceptuelle et de maîtrise technologique. Dans ce cadre là, une conception architecturale bioclimatique nous semble nécessaire. Avec une forme et des espaces tirant le meilleur parti de leur environnement, une structure compacte et thermodynamique, des surfaces d’échange réduites, avec une optimisation des paramètres architecturaux relatifs à l’orientation, à l’inertie, à l’enveloppe, aux ouvertures, aux vitrages, aux matériaux et aux systèmes constructifs du bâtiment.
Il faudrait aussi penser à une plus grande implication des différents partenaires du secteur du bâtiment : maîtres-d’œuvre (architectes et ingénieurs), maîtres d’ouvrages, ministère de l’équipement et de l’habitat, municipalités, bureaux de contrôle… Ainsi que la formation d’architectes et d’ingénieurs spécialisés en Thermique, Energétique et Economie des bâtiments. Et la mise en place d’un profil de techniciens supérieurs spécialisés dans les technologies thermiques et énergétiques, ainsi que la formation d’une main d’œuvre qualifiée dans la pose et l’installation des produits et des équipements thermique et énergétiques des bâtiments. Le passage d’une application plutôt « volontaire » actuellement, à une application effective et « obligatoire » de la loi relative à la maîtrise de l’énergie dans a conception et la construction des bâtiments est également vital aujourd’hui.
Avec notamment un audit énergétique sur plan dans les secteurs résidentiels et tertiaires, avant de délivrer le permis de bâtir. Cet audit thermique et énergétique devra démontrer que le bâtiment projeté est réellement à « Haute Performance Energétique». Après la construction du bâtiment, une évaluation in situ devra bien sûr être réalisée afin de vérifier la conformité avec le projet et de s’assurer de sa consommation énergétique au cours du temps pour apporter si nécessaire de nouvelles corrections et améliorations techniques.
On devrait également interdire d’équiper les bâtiments avec des systèmes de chauffage ou de climatisation non économes en énergie. Et lancer un système de label pour les fournisseurs ou les producteurs d’équipements de chauffage ou de climatisation à faible consommation énergétique et la généralisation du système «d’étiquetage» et de conformité aux «normes minimales de performance».
Un système d’agrément ou de label devrait promouvoir primo les entreprises ou les artisans de bâtiment qui confirment leurs compétences dans la construction avec les systèmes d’isolation thermique ou l’installation de systèmes de production d’eau chaude par les capteurs solaires. Et secundo pour les fournisseurs ou les producteurs de produits d’isolation qui auront démontré soit que leurs produits sont conformes aux normes soit qu’ils possèdent des avis techniques valables ou certifiés. A titre indicatif, voici un tableau présentant la variation de la conductivité thermique et son influence sur l’isolation (résistance thermique pour une épaisseur de 5 cm) pour des produits d’isolation, des bétons « isolants » et des matériaux « classiques » de construction.
Nous constatons d’après ce tableau que les produits d’isolation cités possèdent des caractéristiques isolantes semblables, avec cependant une distinction spéciale pour la mousse de polyuréthane expansé. Les bétons « isolants » montrent par contre certains écarts du point de vue du pouvoir d’isolation, avec notamment un bon positionnement pour le béton de perlite et le béton cellulaire. D’autre part, parmi les matériaux classiques qui sont réputés peu isolants, nous remarquons plutôt que le plâtre possède un pouvoir isolant très intéressant qui devance même certains bétons «isolants». Il est à noter que tous les produits d’isolation ainsi que tous les bétons « isolants » sont hydrophiles et un système d’étanchéité doit toujours les protéger.
(1) Le programme PROSOL mis en œuvre par l’agence nationale de maîtrise de l’énergie depuis 2005, vise l’installation de 500 000 m2 de capteurs solaires à l’horizon 2009.
Texte : Ahmed Jelidi, enseignant – ingénieur
Article paru dans Archibat n°16 – juin 2008