La Tunisie est cette année présente à la biennale d’architecture de Venise. Un grand dessin de relevé et une vidéo témoignent de l’architecture, des savoirs et des savoir-faire des derniers nomades vivants dans le désert tunisien. En 2023, plusieurs voyages dans le grand Erg oriental dont un avec les étudiants en architecture de l’École Polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse) ont été nécessaires pour réaliser ce travail.
La Smala, capitale itinérante algérienne, conçue par l’Émir Abd el Kader pour lutter contre la colonisation, est prise en 1843 par l’armée française. Cette défaite marque dans la trajectoire historique de l’Afrique du Nord l’emprise coloniale sur le désert et peut-être le début de la fin de l’histoire des nomades dans le Sahara.
Dans la Tunisie voisine, dès le début de la colonisation en 1881, le contrôle du désert constitue un enjeu capital pour l’administration coloniale. Elle mène alors une politique de sédentarisation forcée et massive : occupation armée, acculturation systématique de la population, confiscation des terres, travail forcé et déplacement contraint des familles nomades dans des villes nouvelles oasiennes et minières. A l’indépendance en 1956, la part de la population nomade est devenue marginale. L’état tunisien moderne ne fait ensuite que parachever cette politique de sédentarisation forcée. A partir des années 1980, la dictature politique s’accompagne d’une mondialisation libérale. De plus en plus d’entreprises privées investissent dans le tourisme et l’exploitation des champs pétrolier et gazier. La main d’œuvre manque. L’État construit de nouvelles villes oasiennes financées par des fonds étrangers. La dernière en date (Mahdeth), est actuellement en cours de construction par l’armée tunisienne avec des financements italiens. L’eau servant à l’irrigation des palmeraies artificielles et la construction des routes et des complexes touristiques est pompée de plus en plus profond. L’accélération de la désertification, la sécheresse, l’asséchement des puits et des nappes phréatiques, l’appauvrissement des sols réduisent à néant le vivant dans le désert.
Aujourd’hui, il n’y a plus de nomades tunisiens qui habitent le désert. Les quelques familles qui y vivent encore sont de nationalité algérienne de la tribu Reby’a. Ils transhument sans relâche dans le désert. L’amplitude de leurs mouvements est moindre en saison chaude lorsqu’ils se protègent des fortes températures non loin des points d’eau, plus grande en hiver, lorsqu’ils parcourent de longues distances à la recherche de l’herbe et de l’eau pour les troupeaux. L’espace nomade n’irradie pas à partir d’un point fixe anthropisé. Il se déploie comme un entrelacement d’itinérances balisées par des haltes ponctuelles plus ou moins fréquentes et récurrentes. Le désert présente partout des traces matérielles souvent fugaces mais aussi des légendes collectives et des souvenirs de moments personnels qui maintiennent tous vivaces les continuités entre les hommes et leur environnement, entre vivant et non-vivant. Les nomades ne cherchent pas à exercer une emprise sur le désert, puisqu’ils ne se considèrent pas comme étant extérieur à lui.
Cette conscience d’un monde où les humains vivent dans l’enveloppement de leur milieu, cette continuité entre êtres et lieux, a prédominé dans le Sahara depuis plusieurs millénaires. En à peine un siècle, elle a été anéantie.
L’exposition est visitable jusqu’au 26 novembre 2023, à la Biennale d’architecture de Venise (lien)
Titre
18ème Biennale d’architecture de Venise, The Laboratory of the Future
Welcome in Nomadland
Équipe
Le laboratoire d’architecture (Vanessa Lacaille et Mounir Ayoub),
Avec Simon Durand, Hamed Kriouane architectes et Yann Gross, vidéo
Et avec les étudiants en Bachelor et Master de ENAC – EPFL, Studio Lacaille & Ayoub 2022-2023: Meghan Archimi, Arudsagini Arutselvan, Zoé Bahy, Léo Bastianelli, Loïse Boulnoix, Rebecca Broye, Adrien Clairac, Rita D’Elia, Charles Darrousez, Laure Dekoninck, Léa Delessert, Dimitri Descloux, Gaëtan Détraz, Antoine Foehrenbacher, Nikita Giaccari, Marion Gisiger, Yousra Hajoubi, Sébastien Hasler, Charline Hugues, Youssef Kali, Ambre Lassus, Arthur Lüthy, Nathalie Marj, Nadège Mouine, Zineb Mustapha, Silvia Narducci, Linda Orakwe, Abigail Riand, Jana Schiefer, Mélanie Schroff, Dylan Schwaiger, Isabel Vilar Azcárate