Diplomée en 2006 de l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette, Sélima Ladari a exercé dans plusieurs agences parisiennes de renom, travaillant sur une série de projets urbains et architecturaux en France et ailleurs.
« Portée par l’élan démocratique qu’a insufflé la révolution tunisienne », elle rentre en Tunisie en juillet 2011. Elle intègre dans un premier temps, Oger International en tant que responsable d’études où elle gère un projet d’envergure BIM tous corps d’état.
En février 2014, Selima Ladari lance sa propre agence, In Between, dans l’idée de développer des projets qui vont de la petite échelle à l’échelle du territoire. Elle mène des projets d’habitation et d’écoles et lie un fort partenariat avec l’agence parisienne Poliscope.
Sélima Ladari fonde aussi avec ces partenaires, un collectif de professionnels pluridisciplinaires, « Regards Croisés sur le Projet Urbain », s’intéressant à la fabrique de la ville et portant une attention particulière à l’habitat et au territoire tunisien. Elle collabore régulièrement avec la SCET-Tunisie et avec la Banque Mondiale, où elle fait valoir une expertise technique dans le domaine de l’éducation en Tunisie et à Djibouti. Elle travaille également en partenariat avec la designer Violette Nouailhac, pour développer une gamme de mobilier extérieur.
Qu’est ce qui fait la force d’un projet architectural selon vous ?
Le projet est l’occasion de fabriquer un lieu de vie en adéquation avec les pratiques des usagers et avec celles d’un quartier. Mais il est avant toutes choses, le fruit d’échanges humains et techniques. Il germe grâce à des échanges profonds, techniques et riches avec mes partenaires-amis. Le travail est toujours basé sur le partage, des échanges, sur des regards particuliers pluridisciplinaires qui vont de l’échelle de la cellule à celle du territoire. Je reprendrais donc les mots de Giancarlo Di Carlo en disant que « l’architecture naît d’un dialogue permanent entre la forme l’usage, la matière et …» les esprits !
(ndlr : De Carlo utilise le mot « esprit » au singulier)
Vous semblez donc évoquer des rencontres et des relations privilégiées sans lesquelles votre parcours ne serait pas le même.
Tout à fait. L’accompagnement de mes « partenaires-amis » a été déterminant. Philippe Fabre, Rahman Elezi, Claire Gasse m’ont beaucoup soutenu dans la création de In Between et dans mes réalisations pour poursuivre le travail que nous avions entamé à Paris sur des projets urbains et architecturaux d’envergure. Il y a aussi Céline Mercier, ma binôme à l’école ; Ensemble, nous travaillons sur la relation entre la pédagogie et l’infrastructure et nous avons eu la chance de mettre à profit nos expériences sur un projet ambitieux de l’école Jean Jaurès. Il y a également Violette Nouhailec, designer écrivaine d’une grande sensibilité, avec qui je développe une relation très particulière pour lancer, bientôt je l’espère, une gamme de mobilier extérieur. A Tunis, j’ai développé d’autres relations fortes avec des confrères, des ingénieurs et surtout avec mon principal collaborateur Nabil Gabsi, avec lequel j’ai pu développer, grâce à sa rigueur, des projets de manière détaillée et précise.
Parlez-nous de votre expérience à Paris.
Avant In Between, j’ai vécu une expérience humaine très stimulante en travaillant sur le projet urbain. Ma vie professionnelle a démarré à Paris dans des structures renommées comme l’agence Castro, l’agence Buffi et Ama architecture. Ama architecture m’a confié un projet d’envergure internationale : « urbanité à La Défense ». Nous étions en concurrence avec des stars comme Rem Koohlas. Avec des grands noms de l’architecture, de la scénographie, du paysage nous formions une belle et grande équipe, les échanges étaient passionnants et nous avons remporté le projet. Après cette expérience, nous avions enchainé sur des projets de très grandes échelles en France et en Chine. Nous avions remporté notamment le concours de la 3ème ville franche Hengquin.
Les réflexions étaient très riches et multiples. Ce que j’ai retenu du projet urbain est que l’appréhension de l’échelle urbaine et du territoire se fait de la même manière que celle du bâtiment.
C’est donc en revenant à Tunis que vous avez fondé In Between. Comment en définissez-vous l’approche ?
De retour à Tunis en juillet 2012, portée par les couleurs de la
« révolution du jasmin », j’ai d’abord intégré Oger international puis j’ai monté ma structure en février 2014. L’architecture de In Between s’est élaborée à partir de notions fondamentales telles que : asseoir, intégrer, hiérarchiser, fluidifier et relier, en concevant essentiellement des maisons contemporaines inspirées des maisons traditionnelles.
Il y importe avant tout, de prendre en compte les usagers et le mode d’appropriation des espaces dessinés dans une maison. L’objectif n’est pas de faire de l’architecture avec un grand A mais de définir un lieu de vie dont la forme et la qualité lumineuse favorisent l’appropriation.
Pour chaque maison, le travail porte aussi sur la relation entre les différents espaces qui la composent la maison et sur la relation dedans/dehors. Il ne s’agit pas de tout ouvrir sur l’extérieur mais de trouver un lien entre eux, à travers la forme, la lumière et les usages.
Pour avoir la meilleure performance environnementale possible, la conception optimise l’efficacité énergétique, en portant une attention toute particulière à l’orientation des pièces et à leur éclairement naturel, au choix des matériaux, en intégrant des doubles cloisons et des fenêtres avec rupture de pont thermique.
Les variations entre les maisons naissent de la fusion entre la méthodologie développée et les rêves et envies des clients. Le jour où les clients s’emparent du projet c’est que nous avons réussi notre mission. On essaie tout de même de les accompagner jusqu’au dessin de la poignée de porte… On n’y arrive pas toujours !
Hormis les villas contemporaines, vous travaillez aussi sur des écoles et des infrastructures en lien avec la pédagogie…
Effectivement. Le travail sur les écoles a débuté avec la belle expérience du PREFAT (Projet de Renforcement des Fondations pour l’Apprentissage en Tunisie) du Ministère de l’éducation tunisien en partenariat avec la Banque Mondiale fournissant l’assistance technique et financière. Il s’agissait de porter une réflexion sur l’infrastructure pour garantir une meilleure qualité des ouvrages et une cohérence entre la pédagogie et l’infrastructure. Les écoles, leur construction, leur maintenance, leur réhabilitation constituent une composante importante du projet cherchant à améliorer les conditions d’apprentissage notamment par un travail sur l’infrastructure.
L’expérience s’est reproduite avec « Expanding opportunities for Learning » avec le Ministère de l’éducation nationale de Djibouti toujours en partenariat avec la Banque Mondiale. Il fallait réfléchir également à l’amélioration de l’infrastructure (et faire) en l’accordant avec les objectifs pédagogiques définis par l’état.
Dans la continuité de ce travail sur les projets à portée éducative, arrive celui de l’adaptation en cours actuellement, de l’école « l’archevêché » de l’Institution Laghmani pour rejoindre le réseau des établissements scolaires français à l’étranger. La valorisation du bâtiment principal emblématique de l’Archevêché et de son site remarquable, s’imposait à nous comme une évidence. Ainsi, l’organisation de l’ensemble de l’école, avec ses salles de classes et ses espaces extérieurs, tend vers la valorisation de ce site ayant pour finalité l’appropriation des lieux par les apprenants et leurs enseignants.
VILLE NOUVELLE DE HENGQIN (ZUHAI) – PROJET LAURÉAT, 2010
Surface : 100 km2
Client : Commission du Gouvernement Chinois / Zuhai Grand Hengqin Investment Compagny Ltd
Architectes urbanistes : T. Melot Ph. Fabre / AMA
Chefs de projet : Rahman Elezi, Sélima Ladari
Le projet consiste en la création d’une ville écologique de 280.000 habitants sur 100 km2. « La ville heureuse » est un thème central du projet et pour cela, la présence du paysage naturel et l’écologie étaient cruciaux dans la structure de la ville.
La ville se structure en strates: i) une trame verte, ii) Un réseau d’eau et de routes suit l’ancien tracé agricole, l’idée centrale étant de conserver la trace du passé nourricier du territoire, pour dessiner la ville et son paysage à partir de la « mémoire de l’eau ».
» Tous les écosystèmes sont reliés les uns aux autres par un maillage dense de grands parcs, de squares, de cœurs d’ilôts, de berges, de passerelles végétalisées. La mixité crée une continuité urbaine et une proximité.
Le projet restaure et urbanise le réseau des canaux agricoles pour le transformer en système de circulation et d’assainissement urbain. Le réseau hydraulique est conservé, restauré, réhabilité pour y glisser le réseau viaire et la trame urbaine des îlots.
Le bâti est inséré dans la triple structure paysagère ; chaque lot d’urbanisation devient une figure unique qui va tirer son tracé de la prise en compte de la mémoire de l’eau. »
Moucharabieh’s house
Mutuelleville
Mission complète
Architectes : Sélima Ladari, Philippe Fabre et Rahman Elezi
Surface : 350 m2 ; livrée en 2018
Photos : © Hichem Driss
« Dans la Moucharabieh’s House, le travail a porté sur l’optimisation des espaces et la relation entre l’intérieur et l’extérieur. Le cube blanc d’apparence opaque, est en réalité, très ouvert grâce à une série de dispositifs gérant le rapport dehors-dedans. Le grand moucharabieh modernisé apporte la lumière du Sud aux appartements, et participe à l’identité de cette villa moderne qui se veut méditerranéenne également. »
Maisons à patios
Gammarth village
Mission de conception
Architecte : Sélima Ladari
Surface 450 m2
Livrée en 2017
Photos : © Hichem Driss
« L’enjeu de ce projet était d’intégrer deux maisons distinctes dans un terrain étroit et de forme irrégulière. Grâce au jeu de patios et à la forte connexion dedans-dehors, l’étroitesse du terrain est absorbée et l’intimité préservée. »
Article paru dans Archibat N°47 – Août 2019