En janvier 2024, l’architecte Chacha Atallah et La Boîte, centre d’art contemporain à Tunis, présenteront leur programmation autour de la Villa Baizeau à Carthage, unique œuvre architecturale sur les rives de la Méditerranée, conçue par le célèbre architecte Le Corbusier et son associé Pierre Jeanneret. Cet événement s’annonce prometteur pour la valorisation du patrimoine architectural du XXème siècle en Tunisie. Il propose, expositions, publication d’un catalogue et rencontres autour de l’œuvre architecturale de Le Corbusier, qui seront prévues dans différents espaces culturels de la capitale.
Au programme : exposition d’architecture « Actualité de l’architecture simple : La villa Baizeau à Carthage », du 15 Janvier au 15 Mai 2024 à l’espace culturel le 32bis, dirigé par Roberto Gargiani ; Exposition d’art contemporain du 16 Janvier au 16 Avril 2024 à l’IHEC Carthage, un colloque scientifique sera organisé du 16 au 19 Janvier 2024 à l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, des visites architecturales et des ateliers d’illustrations pour jeune public viendront étoffer cet événement.
La villa Baizeau a été construite en 1930 sur la colline Sainte-Monique à Carthage, à la demande de Lucien Baizeau, un entrepreneur de travaux publics établi en Tunisie depuis le début des années 1900. Pour cette commande, il a désigné l’architecte moderniste franco-suisse Le Corbusier, qui a conçu le bâtiment, mais qui, comme on le sait, ne s’est jamais rendu à Carthage pour superviser la construction et l’achèvement de la villa. Après l’indépendance de la Tunisie dans les années 1950, sous la direction de Habib Bourguiba, le bâtiment a été intégré au site gouvernemental, en raison de sa proximité avec le palais présidentiel. Depuis lors, la villa et le site sur lequel elle est construite sont interdits au public local et aux amateurs d’architecture, pour qui le mystérieux bâtiment reste d’un grand intérêt.
Le Corbusier et la villa Baizeau : une réinvention moderne à Carthage
C’est à l’occasion de l’exposition de la Weissenhof Siedlung à Stuttgart en 1927, que l’industriel Lucien Baizeau découvre les maisons réalisées par Le Corbusier et Pierre Jeanneret et leur demande de concevoir une villa de vacances dans la banlieue de Tunis. À partir de photos et du plan du terrain, les architectes, qui ne sont jamais allés sur site, vont dessiner plusieurs projets. Le premier projet de cette villa aux maisons s’apparente au modèle « Citrohan » qui se caractérise par la présence de mezzanines donnant sur des espaces en double-hauteur1. Baizeau refuse les différents projets qui lui sont soumis, craignant que la double hauteur ne produise des nuisances acoustiques entre les niveaux. Il déplore également l’absence de protection vis-à-vis du soleil et du sirocco. C’est finalement la mouture intégrant les recommandations du maître d’œuvre qui sera retenue. L’architecture de la villa Baizeau se caractérise par sa simplicité et sa fonctionnalité. La façade minimaliste, dominée par des lignes épurées, et l’utilisation innovante de pilotis, qui élèvent le bâtiment au-dessus du sol, sont des éléments distinctifs de son design. Ces pilotis libèrent l’espace au sol pour d’autres usages tout en offrant une vue imprenable sur la Méditerranée. À l’intérieur, l’agencement des espaces rompt avec les conventions traditionnelles, favorisant la fluidité et l’ouverture, et reflète l’engagement de Le Corbusier envers des principes d’habitation modernes et fonctionnels.
Exposition d’architecture et colloque à Tunis autour de la seule construction de Le Corbusier en Afrique
De la volonté de faire reconnaître la villa Baizeau comme valeur patrimoniale, à l’échelle nationale comme internationale, est née l’idée d’une grande exposition accompagnée de l’édition d’un livre catalogue. L’exposition « Villa Baizeau Carthage, Le Corbusier & Jeanneret : Actualité de l’architecture simple » est curatée par l’historien de l’architecture Roberto Gargiani (professeur à l’Ecole Polytechnique de Lausanne et professeur invité à l’Université de Harvard). Elle explorera l’aspect historique, le contexte et la relation entre Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Lucien Baizeau, avec un portrait inédit de ce dernier.
Notons toutefois que jusqu’à ce jour, aucune exposition n’a fait état de cette construction figurant pourtant dans les œuvres complètes de Le Corbusier. L’ouvrage, catalogue édité par Accattone sous la direction de Roberto Gargiani, « Architecture simple : La villa Baizeau à Carthage de Le Corbusier et Jeanneret »2, s’articule autour de deux perspectives analytiques complémentaires. La première est consacrée à l’histoire de la villa, permettant de comprendre ses raisons et ses significations, sa genèse, son importance théorique, le rôle du client et la joie que la maison a procurée à la famille, dans le but également de rassembler les connaissances nécessaires à sa restauration en tant qu’architecture fondamentale du vingtième siècle. La seconde est ouverte à certains des plus grands protagonistes de l’architecture d’aujourd’hui et s’inscrit dans la stratégie culturelle de Le Corbusier, qui a toujours su reconsidérer ses œuvres à la lumière des phénomènes contemporains, même à travers des manipulations graphiques, des plans inversés et des photographies renversées, afin d’en découvrir les potentialités insoupçonnées.
La présentation d’une importante documentation autour de la villa Baizeau devrait permettre de démontrer la valeur historique de la villa, de sorte que les démarches en vue de sa restauration et de sa transformation en une œuvre accessible puissent être entamées. L’objectif de l’exposition et de la programmation qui l’accompagne est d’attirer l’attention du public sur cette villa historique de grande valeur qui a besoin d’être rendue visible. En mettant la Villa Baizeau en lumière, chacun pourra réapprendre les principes essentiels d’une architecture simple et universelle que cette œuvre compacte mais prestigieuse de Carthage est encore capable de transmettre au monde d’aujourd’hui.
Texte avec la contribution de Alya Sellami, Maître de Conférences ENAU.
Pour en savoir plus sur l’événement : www.expositionvillabaizeau.com
1 – B. Reichlin, « L’utile n’est pas beau » in Le Corbusier. Une encyclopédie. Paris. Edition Collection Monographie. 1987. Voir également M. Ayoub, « La villa de Carthage de Le Corbusier ou le projet moderne revisité », in Tracés, 2022, https://www.espazium.ch/fr/actualites/la-villa-de-carthage-de-le-corbusier-ou-le-projet-moderne-revisite. Publié à nouveau dans Archibat n°55, 09/2022, pp 66-69.
2 – Contributeurs : Chacha Atallah, Baukunst, Tim Benton, Mohamed Ali Berhouma, Thomas Bilanges, Jean-Louis Cohen, Sophie Delhay, Dogma, Expérience, fala, Roberto Gargiani, André Kempe, Jacques Lucan, Sabine Massenet, OFFICE Kersten Geers David Van Severen, Point Supreme, Anna Rosellini.
Exposition d’art contemporain du 16 Janvier au 16 Avril 2024 à l’IHEC Carthage
L’exposition d’art contemporain intitulée, Seules les ruines demeurent (Only Ruins to Be Found), s’inspire du cadre architectural qui entoure la villa. Les curatrices Myriam Ben Salah et Aziza Harmel ont invité un certain nombre d’artistes à proposer des œuvres – à la fois des projets existants et de nouvelles commandes – qui s’attaquent de front aux particularités de la Villa Baizeau et aux questions idéologiques soulevées par cette réalisation : l’inaccessibilité de son site et sa particularité dans la carrière même de Le Corbusier. Par le biais de pratiques spéculatives, l’exposition propose un accès imaginaire à la villa, une fiction qui prend comme point de départ la position du spectateur, depuis la chapelle Sainte-Monique, surplombant la Villa Baizeau. L’exposition agit comme un contrepoint à la présentation architecturale de 32bis, examinant la pratique de Le Corbusier à travers le prisme critique du contexte post-colonial. Parmi les artistes participants figurent Yesmine Ben Khelil, El Warcha, Niloufar Emamifar, Mohamed Harmel, Vlatka Horvat, Natascha Sadr-Haghighian et Judith Hopf. La liste complète des artistes sera dévoilée en janvier.
Le saviez-vous ?
Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, est l’architecte le plus marquant du XXe siècle. A la fois architecte, urbaniste, décorateur, peintre, sculpteur et photographe, il est né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds en Suisse, naturalisé français et mort le 27 août 1965 à Roquebrune-Cap-Martin en France. Le Corbusier n’ayant pas eu d’héritier direct, la Fondation (FLC) qui porte son nom est sa légataire universelle. Le Corbusier était un artiste total qui partageait ses journées entre la peinture et l’architecture. Il n’a jamais été diplômé d’architecture.
Article paru dans iddéco n°51 – Décembre 2023, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/abonnement-2/