Villa 43.43 est une maison familiale, à Sousse, de plain-pied avec une oliveraie. Ce projet, conçu par l’Atelier d’architecture, Fériel Lejri, raconte l’histoire d’une architecture qui tente de se relier aux arbres et de les sublimer. à travers cet entretien, Fériel nous dévoile le contexte de sa démarche.
Archibat : « Vous avez nommé ce projet Villa 43.43. A quoi ce nom fait-il référence ? »
F. L. : « Chaque projet porte un nom qui lui est attribué, spontanément, avant ou après la conception. C’est une manière d’affirmer l’idée que chaque projet est unique et qu’il est un corps vivant qui a son caractère et son identité. « 43.43 » est la référence NGT prélevée sur le plan topographique du terrain, relative au niveau de l’olivier qui a été choisi pour caler le bâtiment et qui a, ainsi, défini le parti pris d’implantation du projet. Il s’agit d’un terrain en pente, avec plusieurs oliviers. Le site se démarque par deux parties distinctes : la première, de forme oblongue, avec deux rangées d’oliviers, disposées « en couloir », sur une parcelle étroite ; la deuxième, de forme rectangulaire plus large, au niveau inférieur du terrain.
A la première visite du site, la progression dans la partie supérieure de la parcelle a révélé une perspective spectaculaire, à travers les oliviers, au bout de laquelle, aucun obstacle visuel ne s’oppose à ce dégagement vers le paysage. La force de cette percée était, de toute évidence, une richesse sensorielle à préserver et une expérience spatiale à affirmer. Ainsi, le volume de la maison a été implanté, au bout du terrain, en s’écartant de cette perspective et en privilégiant l’orientation sud-est. C’est à cet endroit précis que se dresse l’olivier de NGT 43.43, en relation avec la terrasse et le jardin. Le volume de la piscine, quant à lui, s’est glissé entre les deux rangées d’oliviers, dans le sens de la longueur de la première parcelle pour accentuer cette perspective et la profondeur du terrain. L’olivier 43.43 constitue l’arbre orbitaire, autour duquel s’organisent les aménagements extérieurs et les espaces communs, qui sont de plain-pied avec le jardin. Les autres espaces ont été calés dans des demi- niveaux, en suivant la topographie du reste des oliviers. La maison se déploie sur trois plateaux différents démarquant l’espace d’entrée avec la salle de musique, les espaces de vie, et les services ».
Archibat : « Le volume de la maison a une forme atypique, avec plusieurs changements de directions. A quoi attribuez-vous ce jeu formel ? »
F. L. : « Il ne s’agit absolument pas d’un jeu formel. La mise en forme du projet est la simple expression d’une intention claire, dès le départ : celle de s’implanter entre les arbres, sans avoir à les transplanter. L’espace libre entre les arbres a été à l’origine de la genèse de cette volumétrie « organique ». Cette prise en compte des arbres n’a, en aucun cas, constitué une contrainte. Au contraire, elle a donné une liberté/ flexibilité d’articulation volumétrique, décomplexée de tout apriori sur les formes angulaires et peu soucieuse de l’absence d’une lecture claire des façades. On m’a demandé : qu’allez-vous faire des angles morts ? et j’ai répondu : nous les rendrons vivants !
Et puis, l’insertion des différentes pièces de la maison entre les arbres a généré la fragmentation de la volumétrie générale, qui a permis de noyer le projet dans la végétation et de laisser les arbres « dominer » le bâti, puisque ce sont eux qui se sont empris de ce territoire, en premier. L’architecture se cache derrière leurs robes bien larges et se révèle partiellement, selon les différentes perspectives.
De plus, Cette flexibilité au niveau des différentes directions géométriques a permis de définir l’orientation souhaitée pour chaque espace et de positionner avec précision les fenêtres de chaque chambre de manière à offrir à chaque usager, une vue sur un olivier, de près ou de loin, selon des cadrages différents et les besoins d’ombre et d’ensoleillement. Un peu comme les tournesols qui changent de direction à la recherche des rayons de soleil ! »
Archibat : « Considérez-vous ce projet comme une architecture écologique ?»
F. L. : « Ce serait prétentieux de le penser. L’architecture écologique a ses règles. Je dirai, tout simplement, que ce projet s’inscrit dans une quête d’harmonie avec les arbres et qu’il entretient avec eux, un rapport d’humilité. Pour moi, il n’y a pas d’architecture plus belle et intelligente que la nature. Celle-ci ne s’encombre pas d’artifices esthétiques inutiles ou gratuits.
Dans la nature, tout est cohérent, à sa juste place et si poétique. Elle comporte des systèmes complexes très intelligents qu’on peut transposer à des dispositifs architecturaux. Elle constitue, pour moi, la principale source d’inspiration pour mener les réflexions sur nos différents projets. Cette fascination pour la nature, est d’ailleurs, la valeur qui réunit l’équipe d’atelierFL en particulier, avec mon partenaire El Kamel Balti.
En résumé, le principal choix conceptuel de ce projet est de garder ces oliviers à leurs places physique et symbolique et de préserver l’atmosphère qu’ils créent à travers le mouvement de leurs branches, la couleur argentée de leurs feuilles, la fraicheur qu’ils génèrent, les odeurs qu’ils dégagent, les silhouettes qu’ils dessinent, les chemins qu’ils tracent, la lumière qu’ils filtrent…etc. L’idée est que ces oliviers soient présents aussi bien lorsqu’on est à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison.
De l’intérieur, à partir de l’espace de vie principal qui comporte le salon et la cuisine, une baie vitrée très large met en scène ces oliviers sur toute leur hauteur.
Certains murs sont tapissés de céramiques artisanales, réalisées sur mesure pour ce projet, à Nabeul, dans une palette de couleurs avec différentes tonalités de vert, rappelant les feuilles d’olivier. Les autres matériaux choisis sont également locaux, à savoir : les briques de terre cuite, le marbre Gattouna ou la pierre Thala, le fer forgé, les roseaux…etc. »
Archibat : « Si votre démarche n’est pas formelle, comment la qualifierez-vous, alors ? Conceptuelle ? Contextuelle ? »
F. L. : « Je dirai que les écritures architecturales, qu’on propose pour chaque projet, sont plutôt, contextuelles. Mais la démarche de compréhension du site, est avant tout, intuitive. Chaque projet de villa nait de la lecture du contexte d’implantation, de la mise en lumière de ses potentiels et de l’interprétation des besoins de ceux qui vont y habiter. Mais la première lecture du site n’est pas analytique. Elle est d’abord corporelle, parce que c’est celle qui, d’après moi, est la plus riche, la plus libre et la plus juste. C’est dans cette relation spontanée du corps à l’environnement physique que nous parvient un champ d’informations très riche, en dehors des a priori, qui ouvrira le champ à la création, en libérant le projet architectural des sentiers battus, des « recettes » et des pièges formalistes. Ce n’est qu’après qu’émergent les lectures réflectives. La phase de conception d’un projet est, pour moi, incompressible car elle nécessite des étapes qui exigent un temps de décantation, de maturation. Ce temps de gestation est nécessaire pour éliminer les idées superflues et se relier à l’essentiel, pour être en mesure de traduire, par la suite, l’essence du projet, au-delà de sa forme et de son expression ».
Propos recueillis par Archibat
Article paru dans Archibat n°60 – Mars 2024, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/nouveau-numero-disponible/