Objectifs du séminaire
L’Association du Développement Durable de Sfax (ADDS) a organisé en collaboration avec l’Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme (ENAU), La Municipalité de Sfax, L’Ordre des Architectes de Tunisie (OAT) et la revue d’Architecture « Archibat », le 9 Décembre 2015, un séminaire dont l’objectif est de mener une réflexion sur le futur du « Grand Sfax », à la lumière de son aménagement urbain et des projets qui pourraient en faire une métropole nationale et internationale.
Objectif général
Ouvrir un large débat sur les questions qui vont à l’encontre du développement durable du Grand Sfax et qui l’empêchent de jouer son rôle de véritable capitale économique attractive à l’échelle nationale et régionale. Questions environnementales, de transport, de choix et de stratégies d’aménagement. Ce débat est alimenté par les réflexions déjà menées depuis plusieurs décennies et qui devront éclairer l’avenir du Grand Sfax.
Objectifs spécifiques
• Établir une connaissance partagée de tous les acteurs sur les différentes études et projets sur Sfax
• Fournir une information sur les expériences internationales de réflexions stratégiques sur l’évolution des villes.
• Contribuer à l’enrichissement de la réflexion sur la stratégie de développement durable du Grand Sfax.
• Œuvrer pour un consensus sur un développement significatif du Grand Sfax et relancer son rayonnement.
Cible
L’assistance au nombre de 250 personnes, comme prévu, était constituée notamment :
– des responsables de l’aménagement du territoire dans les ministères publics et les collectivités locales : ministères, municipalités, gouvernorat … ;
– des établissements d’urbanisme opérationnel : AFH, Société du Lac, AFT, AFI… ;
– des professionnels impliqués dans l’aménagement urbain et le bâtiment (Architectes, Urbanistes, Promoteurs immobiliers, Ingénieurs et Techniciens…) ;
– des enseignants et des étudiants en architecture et urbanisme …. ;
– des représentants des Organismes Professionnels et de la Société Civile.
Résumé des interventions
Ouverture officielle
Dans une salle pleine, l’ouverture du séminaire est prononcée, au nom du Ministre de l’Equipement et de l’Habitat, par Anis Ghdira Secrétaire d’Etat chargé de l’habitat. Anis Ghdira insiste sur l’importance de la vision prospective, sur la cohérence entre les grands projets et le développement régional global et la capacité concurrentielle de Sfax à l’horizon 2050, ainsi que sur la nécessité d’un premier diagnostic et d’une analyse approfondie pour une nouvelle réflexion. Il met l’accent sur la forte centralité des outils d’usage de l’espace urbain et territorial. Il propose une réforme du système de l’aménagement du territoire vers une décentralisation et une gouvernance locale dans une vision régionale. Il souhaite un développement participatif entre l’Etat et les régions avec des contrats programmes, un partenariat entre les municipalités voisines et un outil économique pour le financement de l’aménagement.Il propose, en conséquence, un plan stratégique fiable pour la production d’un paysage urbain de qualité.
Aprés avoir bien exposé les fondements de la planification long terme de l’urbanisme et aprés le mot de bienvenue du Pr Abdelmajid Khemakhem Président de l’ADDS et Président du comite de pilotage du séminaire, la parole est donnée aux autorités politiques régionales en la personne du Président de la délégation spéciale de la Municipalité de Sfax Mabrouk Ksentini qui a souhaité la réussite des travaux du séminaire et se déclarent à l’écoute des propositions de la société civile dynamique de Sfax pour le futur de l’aménagement et de la qualité la vie de ses habitants aux horizons de 2050.
La parole est donnée par la suite aux partenaires du séminaire, à savoir l’ENAU et l’OAT. Au nom de la directrice de l’ENAU Soukeina Cherif met en exergue l’expérience de collaboration de l’ADDS et l’ENAU durant l’année 2013-2014 par l’organisation d’un atelier de 5ème année sous la direction de Salma Hamza et Leila Riahi et Abbes Zouheir. L’objectif de cet atelier a été de tirer profit de la créativité des jeunes pour imaginer un futur meilleur de la ville de Sfax. Il a abouti à un concours dont les résultats sont exposés durant ce séminaire.
Aymen Zriba Président de l’ordre des architectes de Tunisie s’accorde avec les objectifs du séminaire et souhaite la réforme des outils d’aménagement pour une meilleure gestion de la croissance des villes.
La séance levée, l’assistance entreprend la visite de deux expositions. La première concerne les projets lauréats du concours organisé pour les étudiants de l’ENAU pour l’aménagement de Sfax aux horizons 2050. La deuxième est dédiée à l’opération de récupération de la plage historique du Casino fermée depuis quarante ans. Cette opération est l’œuvre d’un collectif d’associations qui témoigne du dynamisme de la société civile à Sfax et de sa compétence à mettre en œuvre la gouvernance locale annoncée dans la nouvelle constitution.
Bilan et perspectives d’aménagement pour le Grand Sfax
La première séance scientifique sous le thème bilan et perspectives a été présidée par Raoudha Larbi, Directrice de l’Urbanisme auprès du Ministère de l’Equipement et de l’Habitat, qui a donné la parole à trois conférenciers, Christiane Garnero Morena urbaniste et analyste territoriale, Ali Bennasr professeur universitaire et Mahmoud Gdoura expert urbaniste.
Christiane Garnero Morena chargée par l’ADDS d’effectuer une lecture de l’ensemble des études sur l’aménagement de Sfax, de dresser un bilan et de proposer une stratégie pour Sfax à l’horizon 2050, fait part d’un diagnostic assez sombre de la situation actuelle qu’elle résume en sept points :
1- Etalement urbain démesuré de la ville
2- Sous-équipement
3- Difficulté de production économique
4- Difficulté des transports
5- Pollution et cadre de vie dégradé
6- Existence de la capacité de relance
7- Importance de la dynamisation du marché du travail
Pour dépasser cette situation elle propose des actions prioritaires centrées sur la médina, le port, le littoral et Taparura, qu’elle résume ainsi :
– inscription de la médina, important marqueur identitaire, sur la liste indicative du patrimoine mondial. Nécessité de la préserver et d’appuyer sa couture avec la ville européenne et sa relation avec ce qui reste des jneins ;
– re-conception de l’usage du port, élément symbolique de la ville méditerranéenne, et récupération de l’emprise foncière des chemins de fer et reconversion d’une partie des bâtiments industriels ;
– re-conception du linéaire littoral comme zone d’extension de la ville avec ses deux parties nord et sud ;
– réussite impérative de l’aménagement de Taparura, dont dépend le futur de l’aménagement de la ville ;
– changement radical des pratiques de gestion territoriale ;
– les études et diagnostics réalisés à ce jour étant suffisamment concluant, passage immédiat à la phase opérationnelle avec la mise en place d’une nouvelle politique imaginative pour l’horizon 2050.
Dans la deuxième conférence le Professeur Ali Bennasr nous livre sa réflexion sur le futur de l’aménagement de Sfax. Il annonce d’abord que Sfax est probablement la ville la plus étudiée, puis il fait part de son impression de déjà-vu, en regard de la situation actuelle, avec Taparura au centre des débats comme l’a été Sfax Eljadida il y a une trentaine d’année. En synthèse il conclut que Sfax souffre d’un manque de dynamisme et de perte de souffle. La responsabilité de l’acteur public est mise en cause. Il en découle le sentiment que Sfax est mal aimée. Représentant 11 % de la population nationale, elle ne draine que 5 % des investissements publics. Sfax n’est pas une ville Etat, elle est la ville de la mer depuis des siècles et tourne le dos au territoire. Sur le plan macro spatial Sfax n’est pas non plus la capitale du Sud car Gabes, qui occupe la première place de port du désert, l’a supplantée. L’aspiration de Sfax est d’être une ville d’un niveau territorial avec un pouvoir régional. Sa relation avec le territoire est liée au phosphate en provenance de Gafsa – par le biais du chemin de fer -, ainsi qu’à la mise en valeur de sa plaine au moyen de la plantation d’oliviers. A ce propos la colonisation française a tenté par ce biais de combler la fracture entre la ville et la plaine. Sfax répond également à la définition du vide urbain, en effet, sur un rayon de 50 km on ne trouve que des villes de 15 000 hab. Il propose pour le futur, sur le plan local, de réformer et structurer l’espace urbain, de conformer les limites de la ville avec celle du Gouvernorat (dont le découpage est artificiel) et, sur le plan régional, de renforcer la capacité de Sfax de négocier, avec les autres villes comme Gafsa et Mahdia, sa position de capitale régionale. Du fait de son étalement urbain, avec une densité de 8 à 46 hab. par ha et de 6 à 7 log/ha, Sfax n’est qu’une nébuleuse urbaine en voie de densification.
L’habitat est sous équipé, en dehors de l‘emprise communale, et se caractérise par un gaspillage foncier. En effet, le mode d’urbanisation se limite au morcellement des jneins. Depuis les années soixante-dix, la résolution des problèmes s’appuie sur une logique de transfert, celui des huileries en 1977, celui des dépôts de margine en 1989 et, enfin, celui de la SIAPE à la Skhira. Et il est question maintenant du transfert du port. Alors qu’au contraire, il faudrait commencer par trouver des solutions sur son propre territoire.
Sfax connait aussi un écart entre la ville et son arrière-pays, dès 2020 elle ne sera plus la deuxième ville du pays, dépassée par Sousse et le Sahel. Alors que Sfax pourrait constituer un système régional avec Gafsa, Sidi Bouzid et Mahdia, l’autoroute en projection reliant Sidi Bouzid à Tunis court-circuitera Sfax et lui enlèvera ses ambitions régionales.
En conclusion Ali Bennasr ne cache cependant pas son optimisme déclarant : « ce constat négatif ne peut pas toutefois cacher les atouts dont dispose Sfax sur différents plans économiques et sociaux avec une société civile active, porteuse d’un projet de ville et qui a montré sa vivacité, lors de l’élaboration de la stratégie de développement du Grand Sfax (SDGS 2016). Certes, les actions de la société civile sont aujourd’hui ponctuelles, limitées dans le temps et l’espace, mais elles peuvent d’ores et déjà mettre les jalons d’une nouvelle gouvernance pour un aménagement urbain et régional durable. »
Dans la troisième conférence Mahmoud Gdoura, développe, l’enjeu foncier, les outils de maitrise foncière, les moyens financiers et les conditions de mise en œuvre. Il dresse, au départ, un tableau de la situation foncière dans lequel il constate l’insuffisance de la politique foncière avec ses institutions comme l’AFH et l’AFI, l’incapacité de la filière formelle et l’exclusion des couches sociales du marché foncier, phénomènes qui engendrent la généralisation de l’informel. Il résume la situation foncière en quatre points :
1- Pénurie de terrains urbanisables
2- Carence et inadaptation de l’offre publique
3- Epuisement du stock foncier de l’état
4- Lenteur de révision des plans d’aménagement
Il revendique le devoir de fabriquer à nouveau la ville et ce au moyen d’outils juridiques, comme le PIF et le PRF et le SDA et de l’indemnisation des propriétaires. Il constate clairement qu’actuellement des contraintes ne permettent pas cette politique, à commencer par le manque de moyen des municipalités, la difficulté de l’enquête foncière, l’émiettement de la propriété et la difficulté de recours à l’expropriation. Il envisage quelques pistes opératoires possibles dont :
– le recours au partenariat public privé (PPP), la création de pôles urbains nouveaux – et non de simples lotissements – dans un rayon de 11 km autour de Sfax et de villes nouvelles à 40 km ven direction de Mahres et de Menzel Chaker ;
– la dotation de moyens financiers aux communes et de compétences d’opérateur public à l’égard de l’AFH et l’AFI ;
– le transfert de compétences fiscales ;
– le rétablissement du fond de l’urbanisme F I A T ;
– l’assouplissement de la législation de l’expropriation ;
– le soutien politique des opérateurs publics.
Echange d’expériences nationales et internationales
La deuxième séance scientifique présidée par monsieur Mohamed Ali Halouani ancien Président de l’Université de Sfax, est placée sous le thème d’échange d’expériences internationales. La parole est donnée à Philippe Poullaouec Gonidec, Titulaire de la Chaire en paysage et environnement et de la Chaire UNESCO en paysage et environnement de l’Université de Montréal3, qui rend compte de l’expérience de l’aménagement durable dans le cas particulier de la ville de Montréal entreprise avec la participation des collectivités locales.
Cette conférence intitulée Le design comme outil de concertation pour aménager le territoire urbain s’est construite sur l’hypothèse que l’idéation peut être un outil de planification territoriale, et constitue une véritable assise stratégique pour définir des principes, des critères et des scénarios.
Le développement des réseaux de transports routiers et autoroutiers au 20e siècle a créé l’éclatement des villes. Sans limites, les villes et les métropoles se sont étalées en territoires indéterminés. Dans l’expérience autoroutière d’une approche urbaine, il devient de plus en plus difficile de saisir la singularité des espaces traversés. Le territoire qui s’offre à la vue est bien souvent dénué d’expressions et de cohérences territoriales. Ces constats résultent souvent d’une absence de projets territoriaux et des impacts générés par les infrastructures de transport qui fragmentent, séparent et isolent les quartiers ou les entités paysagères, tout en attirant et captant «à la va-vite» le développement industriel, voire l’habitat. Comment imaginer l’expérience d’entrée et de sortie de métropoles (ou de villes) dans ces conditions ? Comment révéler les potentialités de ces lieux, leur connectivité et leur perméabilité sociale, économique et environnementale ? Et plus largement comment induire une démarche de planification adaptée à ces enjeux contemporains et aux acteurs territoriaux concernés pour assurer la viabilité d’un développement dans le temps ?
L’actuel projet de réaménagement autoroutier de l’entrée internationale de la ville de Montréal constitue à cet égard un précédent tant du point de vue de la démarche déployée que du pont de vue des résultats générés qui encadrent pour les 20 prochaines années l’ensemble des travaux d’infrastructure de transport et de projets urbains sur un corridor de 17 km. Comment les résultats d’un processus d’idéation issue d’un concours international d’idées et d’un atelier de design ont été fédérateurs d’une démarche concertée ?Et de quelle manière l’idéation comme outil de planification territoriale, constitue une véritable assise stratégique pour définir des principes, des critères et des scénarios d’aménagement de cette entrée de ville utile pour la réalisation de cahiers des charges et de prise de décision ? Suivant cette perspective,l’approche déployée dans ce projet d’entrée autoroutière montréalaise entend démontrer qu’un engagement créatif dans un processus de planification urbaine assemble et rassemble les points de vue des acteurs tout en mettant en images et en projets les mots d’une vision territoriale.
Débat
Les quatre conférences matinales ont suscité un débat intense dans la salle, entre spécialistes de l’aménagement, membres de la société civile et simple citoyens. Les présents semblent s’accorder autour du diagnostic présenté par les différents intervenants et suggèrent la maitrise de l’aménagement et la généralisation de l’outil du concours pour le littoral sud. D’autres intervenants mettent en exergue l’objectif du développement durable et soulignent l’importance de la vision stratégique. Ils suggèrent aussi la révision des outils d’aménagement et la projection dans l’avenir et enfin la mise en place de la gouvernance locale.
Attractivité, transport et aménagement du territoire
La troisième séance scientifique et première de l’après-midi est dédiée à l’attractivité transport et aménagement du territoire et présidée par Yassine Turki urbaniste et représentant de l’ATU. La parole est donnée à Jean Pierre Frey puis à Foued Aloulou.
Jean Pierre Frey, architecte-sociologue, Professeur des Universités de France, donne une conférence intitulée « Nouveaux lieux urbains d’attractivité et image des territoires urbanisés » L’urbanisation a désormais gagné la totalité des territoires de l’œcoumène. Le développement massif et accéléré du redéploiement des activités et des divers groupes sociaux dans des agglomérations aux dimensions inconnues jusqu’à présent se solde par une profonde modification de l’image de la ville.
Durant près de cinq millénaires, les lieux importants de la vie sociale, politique et religieuse avaient droit à des emplacements privilégiés et à un traitement monumental particulier. Ce qu’on appelait jadis structure urbaine était constitué de l’image des hauts lieux monumentaux de la ville : palais (royaux, princiers, puis bourgeois) du pouvoir politique, temples et autres lieux sacralisés de l’administration des biens de salut dans ce bas-monde, place du marché pour les échanges marchands. C’est la valeur symbolique des lieux qui permettait d’engendrer une image de la ville, qu’elle soit mentale ou matérialisée dans un icône dont tout le monde pouvait aisément disposer.
Le développement de la grande industrie et la prise du pouvoir politique par les détenteurs de la richesse économique (monopolisation des moyens de production au détriment des citoyens travailleurs) se sont soldés par un exode rural massif et une extension des agglomérations selon un vaste processus d’implosion/explosion1. Dans cette dislocation des territoires qui sonnait le glas des villes, l’espace urbain naissant a fini par donner naissance à de vastes zones résidentielles périurbaines en souffrance d’urbanité, à engorger les centres anciens au point de les menacer de disparition et à engendrer de multiples ségrégations à différentes échelles. La pensée fonctionnaliste du Mouvement moderne, en tentant de résoudre sommairement les problèmes de circulation créés par la diffusion de l’automobile, a schématiser l’image de la ville au point d’entériner une séparation réductrice des activités et de réduire la structure urbaine à l’image schématique d’un réseau viaire orchestrant une vie quotidienne scandée par de vastes migrations alternantes que résume l’expression métro-boulot-dodo. La marchandisation mercantile s’insinuant dans tous les pores de la société, la désacralisation des lieux publics, la profanation des lieux symboliques et les perversions de la monumentalité brouille l’image des relations entre espace et société.
La révolution post-industrielle que nous vivons actuellement induit des modification profondes du rapport entre les moments de nos activités au cours de l’existence et les lieux de leur déploiement, de plus en plus massif, dans la mesure où c’est l’ensemble de la société qui est touchée et que sa composition en groupes se réorganise par une modification substantielle du rapport au travail, aux pouvoirs (oscillant entre dictature meurtrière de la prédation et une éco-biologie du partage) et à un territoire qui se redécoupe selon le poids relatif de nouveaux groupes fait de classes d’âge et d’activités plus diversifiées. La monumentalité modeste et domestique monte en puissance face à des monstres architecturaux déterritorialisés (tours, aéroports, pôles d’échanges et autres non-lieux d’une circulation effrénée des personnes et des biens). Un retour aux terroirs s’opère progressivement par la multi-résidentialité dans des campagnes provisoirement désertées et des retraités qui investissent massivement aussi bien dans les fonds de pension que dans les équipements touristiques.
On peut se poser la question de savoir comment le tiraillement entre des centres anciens en cours derevitalisation au risque d’être muséifiés, des périphéries en attente de meilleures dessertes par les transports en commun économes en énergie et d’une centralité périurbaine utile au quotidien, et la nature réinventée des équipements touristiques (plages sur un littoral, par ailleurs menacé par la montée des eaux, îles « désertes », forêts « vierges », montagnes escaladées ou dévalées, randonnées pédestres) vont redessiner l’image des agglomérations actuelles sans les dénaturer et faire advenir une structure urbaine démocratique parce que répondant aux attentes du plus grand nombre et échappant aux ségrégations les plus criantes.
La deuxième conférence intitulée «Transport et Développement du Grand Sfax » est donnée par le Professeur Foued Aloulou Universitaire à l’Institut Supérieur du Transport et de la Logistique de Sousse. Dans cette intervention il aborde cette problématique d’actualité qui concerne le transport et le développement durable dans la ville de Sfax. L’objectif est moins de proposer des solutions que de mettre l’accent sur l’importance de l’activité de transport dans le processus de développement durable de la ville et sur la non-durabilité du système actuel de transport dans la ville. Dans une première partie le conférencierabordeles notions de développement et de transport durable et présente les différentesdéfinitions dont elles ont fait l’objet. Dans une seconde partie, il essaye d’évaluer la durabilité du système de transport de la ville de Sfax en le confrontant aux principes et aux indicateurs de transport durable. La non- durabilité va susciter des préoccupations économiques, environnementales et sociales. Ces préoccupations s’aggravent, parce que l’augmentation du transport peut avoir des effets néfastes aussi bien au niveau de l’efficacité et de la croissance économique, qu’au niveau de l’accessibilité ou encore de l’environnement. Ces effets néfastes sont analysés et convertis en termes de coûts pour certaines externalités. En conclusion sont présentées des orientations stratégiques pour parvenir à élaborer un système de transport durable pour la ville.
Table ronde : gouvernance urbaine et démarches participatives du Grand Sfax et des métropoles tunisiennes
La quatrième et dernière séance est consacrée à la table ronde qui dirigée par Mounir El Mejdoub, et dédiée à la gouvernance urbaine et aux démarches participatives du Grand Sfax et des métropoles tunisiennes. Elle est introduite par Yassine Turki et Raoudha Larbi et suivie d’un débat entre un panel de spécialistes de l’aménagement.
Yassine Turki développe sa conférence sous le titre « Décentralisation développement régional et métropolisation quel agenda pour Sfax ? ».
Sfax se développe dans un contexte caractérisé par un ensemble de processus complexes dont les conséquences sur l’organisation et le fonctionnement de la ville et de sa périphérie seraient profondes.
Le premier de ces processus est interne, il concerne la métropolisation qui, même si elle est aujourd’hui incomplète, est susceptible de changer le rapport de la ville à son arrière-pays. Le second processus est celui de l’émergence de l’échelle régionale comme entrée principale dans la définition des programmes de développement. Une telle perspective, si elle est saisie convenablement, permettrait de mieux positionner Sfax dans les politiques économiques et d’aménagement du territoire eu égard au potentiel qu’elle représente. Le troisième processus est celui de la décentralisation qui, une fois opérationnalisée conformément aux principes de la constitution de 2014, donnerait aux structures locales des marges de manœuvre plus larges pour leur développement et aménagement.
Sous le titre « Réglementation et régionalisation de l’aménagement urbain » Raoudha Larbi développe une conclusion en plusieurs points. Les politiques de développement et d’aménagement menées depuis l’Indépendance, n’ont pas pu atténuer les disparités régionales et spatiales qui sont accentuées par l’ouverture du pays à la mondialisation. Le nouvel ordre spatial, qui privilégie les lieux les mieux situés, les activités et les secteurs les plus portés vers l’extérieur, est en train d’accentuer les déséquilibres régionaux, tout en créant de nouveaux problèmes environnementaux et territoriaux.Le modèle centralisateur, bureaucratique et autoritaire en matière de gestion du territoire entretient la marginalité du local. Une politique de développement basée sur des projets locaux, durables et décentralisés, et des stratégies à petite échelle réalisées dans le cadre de la gouvernance territoriale, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de développement aux territoires en Tunisie. Des processus de gouvernance territoriale (concertation entre tous les acteurs du territoire) méritent de prendre le dessus sur les seules forces du marché. Enfin, la conférencière émet l’idée de lancer un concours international sur l’aménagement de Sfax 2050 et propose l’assistance de la Direction de l’Urbanisme dans la rédaction de son cahier de charge.
Débat de la table ronde
Fakher Kharrat développe l’idée de la gouvernance urbaine participative, en mettant au premier plan le patrimoine, la société civile dynamique et la créativité des jeunes. Il attire l’attention sur le frère jumeau du CATU qui est le code du patrimoine, et qui propose des outils d’aménagements urbain pour les villes historiques dont le PSMV plan de sauvegarde et de mise en valeur ou le PPMV plan de protection et de mise en valeur pour les zones archéologiques et naturelles. Le code du patrimoine est promulgué la même année que le CATU en 1994. Les autorités culturelles veulent le reformer sans jamais l’avoir appliquer puisqu’aucun PSMV ou PPMV n’a été promulgué à nos jours. Sans doute par incompétence ou par manque de volonté politique. Le centre-ville de Sfax, avec sa médina millénaire associée à Bab Bhar, mérite d’avoir son PSMV et son plan de gestion, condition
sine qua non de son inscription sur la liste du patrimoine mondial après qu’il ait fait partie depuis 2012 de la liste indicative. Il constitue un lieu emblématique autour duquel pourrait s’organiser la reconquête de la qualité identitaire de la ville.
Asma Baklouti se questionne sur la place accordée au citoyen.
Jean-Pierre Frey, met en garde contre les effets pervers de la participation qui peuvent aller parfois à l’encontre de la démocratie. Il alerte quant au danger de formater les habitants et propose de faire participer les écoliers auxquels Sfax à l’horizon 2050 appartient plutôt qu’aux adultes d’aujourd’hui.
Philippe Poullaouec, quant à lui, propose de prendre exemple sur le cas de Montréal et de rédiger une charte de la ville de Sfax avec une idéation participative mettant l’accent sur l’aspect culturel de la ville. Cette charte deviendrait un outil de gouvernance et une quête du bien-être collectif.
Salma Hamza attire l’attention sur la pertinence de la tenue même du séminaire – chose impensable cinq années auparavant sous la dictature –
et sur le climat de liberté qui caractérise les débats portant sur des thèmes hautement politiques et qui intéresse le futur de la ville de Sfax.
Riadha Haj Taïeb, s’accorde avec Salma Hamza et annonce que le débat du futur de Sfax sera organisé à l’occasion de la deuxième phase de l’étude stratégique. Ahmed Marrakchi, Ex-Doyen de l’ENIT appuie la proposition de création d’une agence urbaine qui aura pour tâche la cohérence de l‘ensemble des outils d’aménagements à l’échelle du Grand Sfax.
Mounir Elloumi représentant régional de l’OAT à Sfax réclame la participation de l’ordre professionnel des architectes dans la prise de décision. Dans la mesure où cela faciliterait la mise en œuvre dont ils comptent parmi les acteurs principaux. Philippe Poullaouec suggère d’inventer un paysage urbain, de responsabiliser les acteurs locaux et d’appliquer la gouvernance locale et la décentralisation. Zouheir Abbes cite en référence la démarche participative de l‘ile de Nantes.
Mounir Majdoub tente une synthèse des interventions qui illustrent l’objectif du développement et de l’aménagement durable, et de l’échange d’expériences nationales et internationales. Il dégage les idées de participation et de gouvernance locale. Il met l’accent sur l’importance d’avoir une vision suivie d’une idéation avant d’élaborer une stratégie d’application. Il conclut qu’il devient dès lors primordial de changer la mentalité aussi bien de l’administration que celle du citoyen. L’objectif étant de projeter une ville qui constitue un lieu agréable à vivre.
Clôture officielle
La parole est donnée au rapporteur général Fakher Kharrat pour la lecture des recommandations puis à Mounir Elloumi pour clôturer le séminaire et enfin au représentant du ministre des transports. Ce dernier a transmis les salutations du ministre qui rassure les sfaxiens concernant la réalisation de l’opération d’agrandissement du port à conteneur du côté de la plage Casino et au sujet de Taparura qui a alimenté les polémiques pendant la dernière période. Le ministre assure la région que son ministère ne prendra aucune décision définitive avant la consultation de la société civile.
Par Fakher KHARRAT, Professeur en architecture, Expert en patrimoine
Article paru dans Archibat tiré à part Sfax à l’horizon 2050 – Juin 2016