La thèse porte sur une analyse des rapports entre ville, nature et paysage dans le Grand Tunis. Un ensemble de réflexions relatives au contexte historique, théorique et méthodologique a été posé. La métropole tunisoise a été interrogée sous l’angle de ses transformations anciennes et récentes, ses planifications, ses paysages et ses formes environnementales. Ses habitants ont également été interrogés sur leur désir de nature. Enfin, un projet de végétalisation de l’hypercentre a été proposé.
L’objectif de notre recherche a été d’analyser les rapports construits entre ville, nature et paysage dans le Grand Tunis. La ville est ce qui sans cesse advient par l’action de l’homme. A l’heure des métropoles, la nature est ici posée comme un partenaire d’une habitabilité urbaine à faire exister à travers des aménagements multiples mettant à profit la diversité des relations entre les humains, les milieux vivants et les paysages. Se dessine ainsi l’idée d’une nouvelle alliance entre la ville et la nature qui est à l’origine de notre questionnement. De quelles manières l’urbanisme peut-il répondre aujourd’hui à la fois à l’impératif écologique et aux aspirations à une meilleure qualité des cadres de vie des citadins ?
Situé au croisement des nouvelles approches des écologies urbaines, de l’urbanisme durable et du paysage, l’urbanisme végétal articule la recherche sur la ville à l’étude des formes environnementales diverses. Plus qu’un simple décor, la nature en ville est un actant produisant une multiplicité de services écosystémiques. Le végétal y apparaît alors comme une « structure structurante » et un incontournable des planifications urbaines contemporaines.
Il restaure, articule, ponctue et relie les formes environnementales de la ville contemporaine. Le désir de nature en ville n’est peut-être qu’une manifestation de l’envie de nous loger dans un rapport poétique à ses paysages. Les espaces de nature constituent incontestablement une ligne de force de la production de la qualité urbaine. Ils sont à la fois un fait urbain inscrit dans le palimpseste de la ville et un acte spatial à planifier et à mettre en œuvre « ici et maintenant ». L’ensemble de ces réflexions et questionnements ont été confrontés à un territoire, celui de la métropole tunisoise.
Dans un premier temps, nous avons livré un ensemble de réflexions relatives au contexte historique et aux cadrages théoriques et méthodologiques organisant le design de recherche. Nous avons pu ainsi analyser la place du végétal dans la ville préindustrielle, industrielle et postindustrielle, celle-ci prenant des rôles divers à travers le temps et offrant aux habitants une variété de services écosystémiques de plus en plus différenciés. Les maillages verts sollicités par les planifications contemporaines composent avec une large diversité de formes environnementales qualifiant des espaces urbains aux différentes échelles d’action. L’organisation des espaces publics végétalisés recouvre différents objectifs : celui de la continuité morphologique et de la connectivité fonctionnelle de l’espace métropolitain, celui de son fonctionnement écologique, celui enfin de l’intégration de la diversité des usages.
Dans un deuxième temps, nous avons questionné l’histoire de Tunis du point de vue de la place et du rôle de la nature à travers ses transformations spatiales. Peu présente dans l’espace public de la Médina la nature se glisse dans les interstices de l’espace privé dans les patios des maisons au plus près des habitants tandis qu’une ceinture maraîchère entoure la ville a son contact immédiat et l’approvisionne en produits frais. Les habitants vont aussi au contact de la nature dans les environs de Tunis suivant en cela les souverains qui y ont érigé des résidences de plaisance. Avec l’arrivée du Protectorat français une nouvelle ville émerge dont la structure correspond à celle de la ville industrielle en Europe, avec de larges avenues plantées, des parcs et jardins publics. L’espace public structure désormais la ville, la logique est inversée. C’est à ce moment-là que le système d’espaces verts de la ville se met en place avec l’aménagement d’une promenade (la promenade de la Marine), d’un grand parc pour la ville (le parc du Belvédère) ainsi que d’autres jardins et square publics.
Suivent diverses tentatives de planification d embellissement et d’extension de la ville
Cette période s’ouvre avec le plan de Valensi de 1920. Un plan visionnaire qui présente pour la première fois une vision globale de la ville comme paysage. Ce plan ne sera que très partiellement mis en œuvre. La ville se développe dans une dynamique d’extension vers le Nord, le long de l’esplanade Gambetta en direction du parc du Belvédère. Malgré cette forte croissance, le système d’espaces verts n’a été ni étendu ni organisé. Au lendemain de l’Indépendance, on assiste à l’apparition des prémisses d’une trame verte avec le plan directeur de 1962 et le PRA en 1976. Celui-ci présente le premier et le seul plan vert de Tunis. Celui-ci préconisait la protection des terres agricoles, la mise en valeur des espaces naturels, le reboisement des collines, la protection du littoral et la constitution de réserves foncières afin de créer une armature de parcs et jardins pour la capitale. Ce plan vert n’a pas été réalisé et la capitale a continué à s’agrandir.
Elle entre dans l’ère de la métropolisation à partir de la fin des années 1970 avec l’ouverture du pays à l’économie mondialisée.
C’est dans un troisième temps que nous avons porté notre attention sur les documents de planification afin de dresser l’état des lieux de l’armature verte dans le Grand Tunis. Celle-ci est composée par une ceinture constituée de terres agricoles, périmètres irrigués, parcours ainsi que des espaces forestiers. Ces espaces sont de plus en plus menacés par la progression incontrôlée de l’urbanisation informelle. L’espace consolidé de la ville, se caractérise par une faible présence des espaces verts. On compte environ 14 parcs et jardins qui représentent un système discontinu. La métropole apparaît alors comme un paysage urbain fait d’une mosaïque de formes environnementales diverses où se mêlent le vert, le bleu et le blanc.
Nous nous sommes ensuite interrogés sur la manière dont ces espaces sont fréquentés, représentés et appréciés par les tunisois à travers une enquête. Ces derniers ont exprimé un intense désir de nature. Ils considèrent à la quasi-unanimité qu’il est important d’avoir des espaces verts dans la ville et souhaitent en avoir plus. Ils expriment aussi leur insatisfaction quant à l’entretien et à l’équipement de ces espaces.
Enfin, dans un ultime chapitre, nous avons analysé les documents de planification en vigueur dans l’espace de la métropole afin de décrypter le rôle et les fonctions attribués à la nature.
Les cadres institutionnels et juridiques de la gouvernance urbaine ont ensuite été décrits.
Le Schéma directeur d’aménagement (2010) plaide pour le renforcement de la place du végétal dans le Grand Tunis à travers un ensemble de recommandations protectionnistes, mais ne propose pas de connexion entre les espaces de nature. La place de la nature diminue dans le Livre Blanc, puisque celui-ci n’avance aucune recommandation pour la création d’une trame verte à l’échelle de la métropole. Le plan d’aménagement de la commune-centre (PACT) insiste sur l’importance de la renaturation de la ville à travers la mise en place d’un plan vert et d’un réseau vert-culturel. Mais les actions projetées restent au niveau des intentions et tardent à se réaliser.
Force est de constater que les planifications stratégiques souffrent d’une mise en œuvre lente et difficile. La gouvernance des projets d’aménagement est défaillante. La fabrique de la ville verte en panne. L’espoir est cependant donné par les nouvelles planifications qui se traduisent dans le PACT et par les nouvelles dispositions participatives et de décentralisation. Il existe une fenêtre d’opportunité qui nous permet d’induire des actions ici et maintenant par le biais de l’urbanisme tactique. Un projet de végétalisation de l’hypercentre de la capitale dans le cadre d’une démarche d’urbanisme tactique est proposé dans le dernier chapitre : le « filament vert ». Ce dernier nous invite à une promenade à travers de nouveaux « micro paysages » depuis le parc du Parc du Belvédère aux Berges du Lac à travers le palimpseste urbain. Le filament vert exprime l’idée d’une nouvelle alliance capable de réinventer nos rapports à la ville, répondre au désir de nature des habitants et requalifier l’hypercentre tunisois. C’est un des apports originaux d’une réflexion inédite sur une trame verte tunisoise en devenir.
Cette thèse innove dans la mesure où elle aborde un sujet jusque là inédit. Elle est originale à plusieurs points de vue. La thématique traitée aborde à la fois des dimensions historiques, spatiales et aussi sociologiques, à travers une enquête de large envergure. La démarche interdisciplinaire place le végétal au cœur de la transformation spatiale. Enfin, l’urbanisme tactique y est abordé comme une alternative aux difficultés de mise en œuvre de l’urbanisme stratégique. Un ouvrage pourrait être publiée, sur recommandation du jury de thèse, dans lequel seraient présentés et développés les principaux résultats de la thèse.
Par Imène Zaâfrane Zhioua sous la direction de prof. Laurent Matthey
Photos : Imène Zaâfrane Zhioua
Article paru dans Archibat n°54 – Juin 2022