Le métier d’architecte, tel qu’il est traditionnellement envisagé dans les formations académiques, est né au 15ème siècle avec la renaissance Italienne. Au départ il consistait à faire le dessin du dessein du prince.
Pour atteindre cet objectif l’architecte conçoit un projet qu’il soumet au commanditaire pour obtenir son accord puis s’engage dans le processus de réalisation de l’édifice en donnant des indications et tous les détails nécessaires à la compréhension de son projet aux différents protagonistes qui se chargent de l’exécution des différentes parties de l’édifice.
Afin que la commande se formalise en idée puis se transforme en une réalisation matérielle précise correspondant à l’image de départ il faut engager le projet dans plusieurs phases qui nécessitent des modes d’expressions variés pour assurer la communication des intentions, relatives à la matérialisation concrète, vis-à-vis de toutes les parties intéressées.
Schématiquement le projet architectural concerne à un moment donné de son élaboration :
– L’architecte et son client (public ou privé)
– L’architecte et lui-même
– L’architecte et ses collaborateurs d’atelier
– L’architecte et ses collaborateurs techniques
– L’architecte et les services administratifs et financiers
– L’architecte et les entreprises d’exécution
– Éventuellement l’architecte et les médias.
A chaque étape le projet est ainsi soumis à travers un système d’expression approprié à un vis-à-vis qui doit l’interpréter à travers son propre code pour y contribuer de manière particulière en respectant l’ensemble des choix, normes, et contraintes qui articulent aussi bien son contenu que sa forme. Nous sommes donc en présence d’un système de communication qui procède de différents codes. Mais tous ces codes sont, dans la tradition, liés à celui qui a déterminé le métier de l’architecte lui-même à savoir le graphisme avec toutes les formes et les outils qui rendent l’objet concrètement perceptible et matérialisable.
Durant sa formation et son exercice professionnel l’architecte acquiert une compétence qui lui permet d’exprimer sa conception à travers des détails dans toutes les échelles nécessaires.
Cependant nous assistons aujourd’hui à l’avènement d’un ensemble de phénomènes qui rendent obsolète cette définition restrictive du métier d’architecte en lui ouvrant de nouvelles perspectives qui demandent une véritable réforme de son enseignement. A titre introductif nous en citerons trois.
1- Le développement de l’outil informatique a substitué à la dextérité manuelle une nouvelle approche digitale intelligente et interactive qui augmente et facilite la communication en demandant à l’architecte une plus grande capacité de coordination et une ouverture pluridisciplinaire.
2- Le progrès technologique a mis au point, ces dernières décennies, une multitude de nouveaux matériaux et procédés que l’architecte ne peut plus maîtriser dans leur totalité car ils exigent des approches spécialisées et la collaboration dans des équipes multidisciplinaires pour atteindre le niveau d’imagination et de réalisation des projets contemporains.
3- La nouvelle définition de l’architecture demande à l’architecte de se positionner par rapport à une multitude d’objectifs professionnels pour déterminer et affiner son véritable domaine d’intervention.
En effet si on considère l’architecture comme la configuration de l’espace afin de permettre à l’activité de se dérouler nous pouvons constater aujourd’hui qu’à l’échelle humaine le champ de l’action connait une grande effervescence universelle et des changements radicaux au niveau des besoins, des attentes et des comportements sociaux.
La rapidité de ces changements nous ramène à l’approfondissement de cette définition pour l’articuler, au-delà de l’espace proprement dit, autour d’autres concepts aussi fondamentaux qui sont le temps, l’esprit, la matière et enfin la nature de l’action qui les suscite et les coordonne. Nous sommes, aujourd’hui, en présence d’une complexité phénoménologique qui demande à l’architecte de s’intéresser à la fois à la configuration de l’espace, à celle du temps, à celle de la pensée, à celle de la mise en œuvre matérielle et enfin à la coordination actantielle. De plus chacun de ces domaines de configuration connait des échelles différentes allant du microcosme au macrocosme.
L’architecte devrait pouvoir configurer l’espace territorial aussi bien que l’espace relatif à la simple ergonomie d’un corps humain individuel.
L’architecte devrait pouvoir configurer la temporalité évènementielle d’une collectivité aussi bien que le temps nécessaire à l’exercice d’une simple fonction. L’architecte devrait pouvoir configurer la forme d’un vécu sociétal d’une culture aussi bien que la forme d’un comportement individuel donné.
L’architecte devrait pouvoir configurer le processus de mise en œuvre matérielle d’un édifice aussi bien que la coordination dimensionnelle et matérielle d’un simple objet.
L’architecte, enfin, devrait pouvoir configurer une activité collective communautaire aussi bien que la gestion d’un poste de travail.
Nous voyons ainsi que la formation classique ne permet plus d’atteindre un tel objectif et que, à part certaines exceptions, les jeunes architectes diplômés s’orientent d’eux-mêmes selon les opportunités de leur carrière vers des formes d’exercices inappropriées à leurs potentialités car au départ non préparées. Il leur faudra beaucoup de temps en stages de recyclage pour les adapter à une de ces formes d’exercice professionnel.
En abordant l’opportunité de cette question et en donnant la parole à des architectes qui témoignent des différentes formes d’exercices professionnels cette journée thématique permettra, nous l’espérons, d’ouvrir les véritables perspectives de la réforme des études en architecture tant attendues depuis deux décennies.
Texte : Ali Djerbi
Article paru dans Archibat n°51 – Avril 2021