Presque quarante années d’exercice du métier en tant qu’architecte indépendant me permettent d’avoir suffisamment de champ et de distance pour tenter de « dresser », selon mon point de vue et ma perception des choses, un état des lieux et une réflexion sur l’évolution aussi bien du paysage urbain que de l’exercice du métier. Il va sans dire que le métier d’architecte, comme tous les métiers d’ailleurs, est sensible à toutes les évolutions de l’environnement à la fois réglementaire, technique, esthétique voire politique.
Etape post coloniale : urgence et standardisation
Les premières décennies post coloniales ont été caractérisées par un besoin urgent en équipements. La volonté des autorités étant dictée par une réponse immédiate aux besoins d’une population en mal d’infrastructures et de bâtiments aussi bien en matière de logements que scolaires et administratifs. Cette urgence, en l’absence d’architectes suffisants, a généré une tendance d’une production architecturale basée sur des prototypes répétitifs implantés dans des milieux et sites différents. L’Etat étant le maitre d’ouvrage principal et l’instigateur de la stratégie adoptée, la production architecturale ne pouvait que refléter la conception officielle.
Durant cette période, la réponse aux besoins urgents dominait toute autre considération. En effet et malgré la volonté de la société civile et certains organismes, et en l’absence de volonté politique pour une planification adaptée et anticipatrice afin d’arrêter l’étalement urbain, hétérogène qui ne s’inscrit dans aucune dynamique surtout celle de la durabilité.
Le manque de réflexion sur le devenir des villes pour aboutir à des orientations bien claires qui répondent aux aspirations et s’inscrivent dans une recherche de solutions qui tiennent compte des enjeux urbains contemporains trouve son illustration dans la défaillance, voire l’échec patent, de programmation surtout pour les moyens de communication et le transport public. De ce fait, la production architecturale, dans un paradigme urbain non adapté aux besoins, ajouté à une évolution rapide des populations urbaines et périurbaines due à la migration interne, s’est trouvée livrée aux mêmes prétentions de recherche de métaphores et de jeux de la séduction à l’égard d’un maitre d’ouvrage transformé en spectateur. Conséquence inévitable, la réponse architecturale a participé à la création d’un paysage urbain hétéroclite, syncrétique et difforme.
Durant les années 90, les autorités au pouvoir ont été les instigateurs d’une production architecturale, bien que répondant aux exigences fonctionnelles modernes, qui se devait d’être ornementée par une enveloppe à connotation identitaire dite « arabo-musulmane » et se voulant ancrée dans une certaine « appréhension » du patrimoine du pays.
Glissement de sens du métier d’architecte
La tradition culturelle, empruntée aux Français surtout, considère l’architecte comme un artiste et accessoirement un technicien. Cette attitude a contribué à ce que la maitrise d’œuvre qui lui était attribuée, lui échappe en partie au profit d’autres intervenants. En effet, l’Architecte, en dépit des lois qui organisent ce métier, continue de perdre la maitrise d’œuvre au profit des bureaux d’études et des entreprises. Le bâtiment devenant de plus en plus complexe, différents spécialistes interférent et remettent en cause son rôle de chef d’orchestre. Autre fait significatif, la prolifération des bureaux dits de pilotage dont l’écrasante majorité est tenue par des ingénieurs, a fait que l’Architecte n’est plus maitre de la réalisation. Il garde uniquement l’avantage de la propriété intellectuelle, en dépit des tentatives de dépossession, ce qui lui permet d’éviter autant que possible les dérapages.
Se réinventer ou périr
Devant cette situation et eu égard au nombre croissant d’architectes en mal de reconnaissance et de positionnement, il est urgent de revoir et réinventer le métier. L’architecte doit reprendre sa place de concepteur, créateur, lotisseur et constructeur avec tout ce que ces tâches nécessitent comme préparation et formation. Il est clair qu’il ne doit plus le faire de la même façon d’où la refonte indispensable de la formation. S’adapter doit être le maitre mot.
Durant les dernières décennies, l’évolution technologique basée sur le numérique et la robotisation a pris une place importante dans l’exercice du métier. Cette nouvelle réalité doit être prise en compte dans la reconquête d’une place de choix dans le domaine de la construction. Le savoir-construire passe par une maitrise des nouvelles techniques et technologies. L’Architecte doit reprendre en partie ce qu’il a laissé à l’ingénieur : les études de structures et la maitrise des outils pour challenger les autres partenaires techniques et résister à leurs contraintes qui peuvent dénaturer le parti pris architectural. La revalorisation de l’implication avec les matériaux et leurs usages pour aspirer à mieux construire est la clef de voûte pour la reconquête du métier.
Le cursus doit impérativement, de mon point de vue, englober une formation au chantier adéquate pour permettre aux jeunes architectes de ne pas craindre d’affronter les difficultés du chantier et de chercher à s’en détourner. Comme il doit également comporter des soft skills en matière de communication, de piching, de négociation.
Le cursus universitaire doit aussi s’ouvrir davantage sur l’environnement de la construction pour que les futurs Architectes puissent connaitre les pratiques du métier et pourquoi pas instaurer le principe d’une césure professionnelle d’une année après le premier cycle comme c’est le cas dans des pays de référence, pour permettre de découvrir le monde de la profession et créer des relations professionnelles qui peuvent être utiles pour la maturité du futur architecte.
Nouveaux enjeux : nouveaux défis
Pour conclure, je dirais que les architectes vont devoir faire face à tous ces enjeux et batailler essentiellement sur plusieurs fronts :
1/ Revoir une législation révolue mal respectée et la remplacer par des textes appropriés en phase avec l’évolution. Les Architectes doivent être fortement impliqués dans ce processus.
2/ S’intégrer davantage dans une profession en forte mutation pour réinventer le métier avec les outils d’aujourd’hui et de demain surtout avec l’avènement de la robotique qui va contribuer à supprimer le problème de la malfaçon qui sévit actuellement et ouvre une nouvelle ère sans commune mesure avec les procédés habituels.
3/ Travailler d’arrache-pied pour adapter la profession à ces nouvelles exigences
4/ Communiquer plus et mieux pour vulgariser, sensibiliser et éduquer à la fois la population que les donneurs d’ordre sur le rôle et les missions dévolues à l’architecte aujourd’hui.
Texte : Laroussi BOUTEJ
Article paru dans Archibat n°51 – Avril 2021