La soutenance de thèse de Fatma BEN REJEB, a eu lieu à l’ENAU en novembre 2023. La thèse est obtenue avec la mention très honorable à l’unanimité avec recommandation de publication.
Depuis quelques décennies, la tectonique en architecture est un domaine de recherche qui a suscité l’intérêt des théoriciens et des concepteurs, aboutissant ainsi à une production critique dispersée dans différents moments de l’histoire. À l’heure actuelle, la discussion du thème est nécessaire en raison du manque de conciliation entre la forme architecturale et la structure au sein du projet, un problème commun dans les œuvres contemporaines et notamment dans la culture architecturale au sein des écoles d’architectures. La tectonique dans son double sens de contenir et de fonder les qualités constructives et les qualités expressives, s’avère pertinente pour l’analyse des œuvres et implique que l’essence architecturale du bâtiment puisse être trouvée et définie, lors du processus conceptuel, au moment où l’architecte synthétise sous une forme spatiale les exigences et les dimensions du projet.
À cet égard, cette thèse souligne la nécessité d’élargir le champ de discussion sur la conception architecturale à travers l’approche tectonique faisant partie intégrante du régionalisme critique, peu explorée à l’heure actuelle, mais certainement utile aux concepteurs dans le développement des projets, tenant compte de l’importance des aspects constructifs du bâtiment.
La valorisation de certaines œuvres architecturales en Tunisie, à travers l’aspect tectonique, est configurée comme un aspect innovant de cette recherche à caractère d’union entre forme et structure, en se focalisant sur le potentiel des éléments de construction dans la génération d’espaces architecturaux.
Le choix d’observer, par le biais tectonique, un contexte historique comme la période de la Reconstruction 1943-1947 et plus particulièrement celui de Jacques Marmey, permet d’ouvrir une double perspective de recherche : Tectonique et Régionaliste à fois.
Le choix de Jacques Marmey comme référence pour approfondir notre recherche sur la tectonique, a été un défi dans la mesure où son architecture a, jusque-là, été analysée uniquement du point de vue formel et ambiantal. Cependant, cette difficulté a servi de motivation à une recherche exhaustive, sur la tectonique à travers tout d’abord, une rétrospective théorique du thème suivie d’une analyse approfondie des travaux internationaux (particulièrement l’architecture Espagnole au cœur de notre analyse comparative) et nationaux.
En effet, Jacques Marmey était le plus ingénieux à se distinguer de ces associés grâce à son savoir-faire constructif acquis au préalable sur chantier, durant ses années de travail au Maroc. Ses œuvres architecturales atemporelles témoignent d’une forte expression tectonique en parfaite harmonie avec le contexte géographique. Il a donné vie au système constructif traditionnel en tant qu’outil éminent pour établir un ordre avec l’espace architectural tout en créant une expérience dans laquelle le nouveau et l’ancien fusionnent.
L’étude des œuvres de Jacques Marmey via l’approche tectonique permet de dépasser la nécessité des impératifs techniques de la construction pour explorer à nouveau son potentiel expressif et poétique. Partant de la dimension symbolique conçue autour des besoins humains et du contexte culturel, Jacques Marmey envisage la façon dont les utilisateurs habiteront et utiliseront l’édifice et définit l’authenticité de l’œuvre architecturale imaginée. Sur ce, la dimension constructive joue un rôle important dans la conception de l’espace tenant compte de l’échelle avec les propriétés des matériaux, la technique et la structure.
Dans le modèle tectonique de Marmey, l’extrapolation de l’échelle constructive traditionnelle fut une première en Tunisie, dépassant l’échelle de l’habitation classique ; il crée des arcades et des voûtes avec des proportions variées et hautes, articulant ainsi, des séquences spatiales différentes. Une expressivité tectonique forte en résulte alors, permettant une poétique de construction liée à la tradition tunisienne.
Jacques Marmey nous a prouvé qu’on pourrait saisir la quintessence du passé sans pour autant mimer l’apparence, et que l’emploi judicieux des matériaux de construction ainsi que le système constructif entrainent une construction qui pourrait être durable à long terme. En effet, l’ancien système constructif comme la voûte, en plus de son côté esthétique, a prouvé son efficacité en matière de durabilité. L’exemple le plus révélateur est la villa Martin à Sidi Bou Saïd (1950) qui, jusqu’à nos jours (2023), ne renferme pas de climatisation. Ainsi, le retour aux systèmes constructifs traditionnels pourrait constituer une alternative dans le contexte du développement durable.
Honorer l’architecture de Jacques Marmey semble être, par son expression constructive, sa sensibilité et la grande attention portée au contexte géographique et culturel, un exemple qui mérite d’être étudié d’une manière privilégiée. Aujourd’hui, le jeune architecte a besoin de forger ses connaissances en matière de construction et de maîtriser les moyens techniques et constructifs. Il a besoin aussi de collaborer avec les différents corps de métier et de fréquenter les maîtres maçons pour acquérir des compétences pratiques réelles. Dans une certaine mesure, ce que propose cette recherche est une prise en considération de la tectonique et du régionalisme critique dans chaque étape de la conception pour une architecture durable « située » en Tunisie.
Article paru dans Archibat n°60 – Mars 2024, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/nouveau-numero-disponible/