Pour mieux comprendre cette réalisation, Tarik Oualalou et Choi, les concepteurs de ce projet présentent leur parti architectural.
OUALALOU + CHOI
A+E // Comme pour l’exposition universelle de Milan, vous avez choisi le matériau TERRE pour exprimer l’image du Maroc. Pourquoi, encore une fois, ce choix ?
TARIK OUALALOU // « Depuis que le Maroc participe aux expositions universelles, c’est-à-dire depuis 1867, c’est toujours le patrimoine arabo-andalou, celui des villes impériales qui est montré. Les pavillons s’incarnent dans des constructions qui mettent en avant le savoir-faire de l’artisanat dans des formes qui sont évidemment celles d’autres temps. C’est un Maroc enraciné dans ses traditions, qui se montre toujours au Monde, et cela jusqu’à maintenant. Nous voulons rompre avec cette vision à la fois figée et un peu folklorique de notre architecture. Nous avons voulu à Milan d’abord, ensuite à Dubaï nous tourner à la fois vers le sud et s’arrimer à la tradition moderne, celle qui fait du Maroc depuis plus de 100 ans un des grands théâtres d’expérimentation de l’architecture et de l’urbanisme. Se tourner vers notre sud c’est aussi engager notre relation à l’Afrique.
La terre est à la fois un matériau primordial, très ancien, mais c’est aussi une alternative durable et décarbonée à la construction en béton et en acier. En cela, nous avons pris très au sérieux la tradition d’innovation des expositions universelles. Du Crystal Palace, en passant par la Tour Eiffel ou le Pavillon Phillips de Le Corbusier, les Expositions Universelles ont toujours été des lieux d’expérimentations, d’essais et de modélisations de techniques. Notre ambition ici est de sortir la construction en terre de son carcan vernaculaire, pour l’intégrer comme une alternative, dans l’industrie de la construction.
Du coup, nous avons mis au point et breveté un nouveau dispositif constructif qui permet de réaliser des ouvrages en terre de grande ampleur et de grande hauteur. C’est une première mondiale. »
A+E // Comment le décririez-vous ?
T.O // « Ce projet n’est pas à proprement parler un bâtiment, c’est une multitude de bâtiments, fragments de tissu urbain. Il utilise des dispositifs urbains plus qu’architecturaux, celui de la rue, de la place, des jardins. Cette multiplicité, où les pleins sont peut-être moins importants que les vides, est une forme presque fractale, générative et dans ce sens organique. Il s’installe dans le cœur du village d’EXPO, sans marquer d’entrée frontale, c’est une structure que l’on traverse à loisir et qui s’ouvre vers le ciel. L’expérience du bâtiment se fait du haut vers le bas, le long d’une ruelle continue, une déambulation labyrinthique qui est une réminiscence d’un Derb de la médina. Cette promenade est ponctuée de 10 jardins qui du haut vers le bas, c’est-à-dire du sud vers le nord, fait le tour de la diversité des écosystèmes de notre merveilleux pays. Ce labyrinthe en ligne droite, comme le décrirait Borgès, s’articule autour d’une intériorité, un patio. Constructions en terre, jardins, ruelles, patios, font vivre plus qu’ils ne représentent une expérience du Maroc. »
A+E // Est-ce compatible avec l’esprit du lieu, celui de présenter le « futur » ?
T.O // « Il est certain que par son ambition et son échelle le pavillon du Maroc sera un marqueur puissant de cette exposition universelle. Nous avons aussi voulu marquer la présence du Maroc à Dubaï en fabriquant un bâtiment ou rien n’est faux, rien n’est une représentation de quelque chose. Il est entièrement constitué de matériaux organiques (terre, bois, béton et jardins), rien n’est factice. Au fond c’est un commentaire sur ce que pourrait être l’architecture au Maroc, vraie, puissante, sensuelle, incarnée, et en opposition avec ce qui se fabrique aux Emirats, qui est le lieu par excellence de la représentation, du paraître, et de l’image. Mais au-delà du bâtiment comme objet technique, il fabrique une expérience d’un nouveau rapport à la nature et au climat, une relation entre les gens qui le visitent qui créée une communauté partagée, et il remet le corps en mouvement. Ce bâtiment montre, que le Maroc est aussi une alternative de civilisation, un des lieux où l’Homme peut réinventer sa place dans le monde dans ce siècle. »
A+E // Le pavillon du Maroc sera l’un des bâtiments qui ne sera pas détruit après l’exposition, comme celui de Séville en 1992. Qu’abritera-t-il exactement ?
T.O // « En effet, le pavillon est une structure permanente qui deviendra un immeuble d’habitation. Ça a été un exercice inédit pour nous et passionnant de dessiner deux bâtiments en même temps. En effet à mesure que nous développions le projet du pavillon, nous avons dû y intégrer sa vie future et sa transformation.
C’est particulièrement compliqué quand on imagine le dispositif architectonique tellement étrange de ce bâtiment. En effet, l’ensemble de la distribution se fait le long d’une rampe qui s’ouvre dans les volumes suivant la composition de l’empilement. En d’autres termes, c’est un bâtiment sans planchers, qui se développe en m3 et pas en m². »
Propos recueillis par Fouad Akalay.
Article présenté grâce à la coopération de : Architecture et Environnement au Maroc
Source : https://aemagazine.ma/