La thèse porte sur l’étude de l’aspect « Smart » et sur sa mise en œuvre à l’échelle du patrimoine bâti tunisien afin d’aboutir à sa conservation et sa mise en valeur. Un ensemble de termes rattachant la notion de « Smart » au patrimoine bâti a été analysé. Une méthodologie de recherche a été définie et appliquée sur un corpus d’étude à l’échelle de la Tunisie, à savoir le site archéologique de Carthage. Tout ceci nous a permis de constituer l’écosystème d’un « Smart Heritage » en Tunisie et de cerner des leviers d’action pour sa mise en œuvre.
Au jourd’hui la notion de Smart est étroitement liée à divers champs disciplinaires, tout domaine confondu. Notre réflexion s’est portée sur cette notion de Smart dans le cadre du patrimoine bâti. Il s’agit alors du Smart Heritage. En effet, ces deux termes liés nous ont conduits vers le développement de notre travail de recherche ; la première notion se rapporte au patrimoine qui représente une richesse inestimable et un atout majeur à l’échelle de la Tunisie qu’il est fondamental de conserver et de mettre en valeur. Pour la seconde il s’agit de l’aspect Smart qui s’est développé via les technologies et qui est devenu un fait indéniable. En effet, l’évolution technologique ne cesse de se centrer au cœur de tous les domaines dont l’héritage bâti qui repose aujourd’hui sur l’usage des nouvelles technologies et il est important pour la Tunisie de s’inscrire dans ce contexte mondial. En réalité, le patrimoine tunisien n’est pas axé sur une vision Smart aujourd’hui avec des problèmes incontestables de gestion et de préservation. C’est suite à ces constats que nous avons posé notre principale question de recherche : Comment mettre en place un Smart Heritage en Tunisie ?
Dans la première partie de la thèse, nous avons étudié les différentes notions qui se rattachent au patrimoine dans son aspect « Smart ». Il s’agit alors des termes « Smart Heritage », « Smart Cultural Heritage », « Smart Heritage City » et « Smart Heritage Buildings ».
Ces différentes notions reposent sur le recours à différentes technologies principalement l’Internet des Objets (IOT), le « Big Data » et le « Cloud Computing », les technologies 3D avec la réalité virtuelle et la réalité augmentée, le Système d’Information Géographique (SIG), le BIM et le HBIM, les Technologies de l’Information et de la Communication ainsi que les technologies se rapportant aux Smart Grids. Mis à part l’usage de la technologie, les notions se rapportant au Smart Heritage reposent sur la détermination des champs d’action à l’échelle du bien patrimonial que nous avons définis comme étant les domaines du patrimoine et que nous avons classifiés en domaines ponctuels et en domaines continus. Pour les premiers il s’agit des différents champs d’action à l’échelle du patrimoine qui sont délimités dans le temps. Pour les domaines continus, il s’agit de ceux qu’il faut continuellement assurer à l’échelle d’un bien patrimonial pour garantir sa préservation. Le Smart Heritage a pour objectif la bonne gouvernance à l’échelle du bien patrimonial avec le suivi et le contrôle, la gestion, la prise de décision, la planification ainsi que les stratégies politiques.
Afin d’étudier la notion de Smart Heritage à l’échelle du patrimoine tunisien, notre choix du corpus d’étude s’est orienté vers le site archéologique de Carthage qui représente le site le plus visité en Tunisie tout en étant géré et exploité par les institutions de l’Etat.
Pour notre analyse, il s’agit d’une recherche qualitative au niveau de laquelle nous avons eu recours aux observations directes.
Nous avons également mené une série d’entretiens semi-dirigés auprès d’experts du patrimoine tunisien ayant connaissance du site de Carthage dans sa situation actuelle. Pour l’analyse de ces discours, nous avons eu recours à la Grounded Theory Method (GTM) ou encore la théorie ancrée et à l’Analyse de Données Secondaires (ADS). Pour la GTM, il s’agit d’une méthode développée par Glaser et Strauss en 1973 qui permet de construire une théorie à partir des données collectées. Pour l’ADS, il s’agit de réutiliser des données collectées dans un autre contexte pour les analyser dans le cadre de notre recherche.
Notre travail d’analyse nous a conduits vers des résultats portant sur un écosystème émergeant à mettre en place pour un Smart Heritage en Tunisie. Celui-ci repose sur des composantes clés avec des relations et des connexions nécessaires entre-elles. En premier lieu, il s’agit d’une bonne gouvernance qui s’appuie essentiellement sur les parties prenantes nationales et internationales qui agissent sur un site défini en respectant et en s’inscrivant dans un cadre national spécifique. En deuxième lieu, cette bonne gouvernance permet d’agir à l’échelle des différents domaines du patrimoine d’ordre ponctuels et continus avec les interventions nécessaires au moment adéquat. En troisième et dernier lieu, il est incontestable à l’échelle du Smart Heritage de recourir aux technologies adaptées comme outil d’appoint. Le Smart Heritage est alors un écosystème qui par sa mise en œuvre permet au patrimoine de jouer son rôle de levier de développement d’un point de vue local, régional et national.
Pour notre interprétation, nous avons dégagés des leviers d’action à mettre en place pour atteindre le Smart Heritage à l’échelle d’un patrimoine tunisien. Il faut alors comme point de départ considérer les valeurs spécifiques au bien patrimonial tout en l’inscrivant dans un cadre général Smart. Les actions définies portent sur l’usage des technologies à l’échelle du bien patrimonial. Ainsi, il faut une prise de décision orientée « technologie ».
Ces leviers d’action portent aussi sur la bonne gouvernance qui se base sur les parties prenantes nationales et internationales avec une mise en place de stratégies efficaces développées dans notre travail. Les politiques définies dans le cadre de la gouvernance doivent être adaptées aux domaines du patrimoine, et donc des stratégies qui répondent au contexte avec une actualisation continue. Nous considérons qu’il faut cerner les domaines spécifiques du patrimoine bâti pour la mise en œuvre d’un Smart Heritage. L’application et la mise en place des différents leviers d’action dégagés au niveau de notre interprétation permettront alors de concrétiser le concept de Smart Heritage à l’échelle du patrimoine bâti tunisien.
Cette thèse a été qualifiée par les rapporteurs d’innovante et dont les retombées potentielles pour les sciences sociales et celles de l’architecture sont très importantes. Il s’agit là du type de contributions originales auxquelles on peut s’attendre d’une thèse de doctorat avec un ajout à la connaissance, en général et aussi en particulier, en ce qui concerne le thème du Smart Heritage en Tunisie. Par ailleurs, c’est une notion qui a toute sa place à l’échelle du patrimoine tunisien surtout depuis la pandémie de la Covid 19. Ce travail de recherche nous permet de dire que cette illusion générale que le Smart réside dans l’usage des technologies est un mythe qu’il est fondamental de surpasser et de démocratiser avec une nouvelle perception de la notion de Smart. Le Smart Heritage doit, mis à part l’usage de la technologie, prendre en considération la bonne gouvernance avec toutes ses parties prenantes et ses stratégies ainsi que les différents domaines du patrimoine. Pour nos résultats, et suivant les recommandations des membres du jury, c’est un travail qui devrait être pris en considération et intégré à l’échelle du patrimoine tunisien et qui pourrait être généralisé à l’échelle d’autres pays.
Texte et photos : Olfa MELLOULI
Article paru dans Archibat n°55 – Septembre 2022