
Liu Jiakun, architecte chinois de Chengdu, vient d’être récompensé par le prestigieux prix Pritzker 2025, la plus haute distinction en architecture. Son approche, résolument ancrée dans la réalité sociale et urbaine de la Chine contemporaine, se distingue par un dialogue subtil entre héritage culturel, innovation et pragmatisme.
« L’architecture doit révéler quelque chose—elle doit abstraire, distiller et rendre visibles les qualités inhérentes des populations locales. Elle a le pouvoir de façonner le comportement humain et de créer des atmosphères, offrant un sentiment de sérénité et de poésie, évoquant la compassion et cultivant un sentiment de communauté partagée », exprime Liu Jiakun.

Un architecte du réel, entre utopie et quotidien
Actif depuis les années 1990, Liu Jiakun a conçu une diversité de projets allant des musées aux logements, en passant par des infrastructures publiques et même une maternité pour pandas. Son œuvre illustre une capacité rare à transformer les contraintes en opportunités, favorisant des solutions architecturales adaptées aux besoins locaux et aux ressources disponibles.

L’un de ses projets emblématiques, le West Village à Chengdu (2015), témoigne de cette approche. Cet ensemble urbain intégré conjugue nature, espaces de vie et infrastructures publiques, créant ainsi une ville dans la ville. Composé de cinq niveaux, il s’oppose aux tours uniformes environnantes par une structure ouverte et fluide, pensée pour les piétons et les cyclistes, tout en offrant des espaces culturels, récréatifs et commerciaux. « Dans un monde qui tend à créer des périphéries monotones et sans âme, il a trouvé une manière de bâtir des lieux qui sont à la fois bâtiments, infrastructures, paysages et espaces publics », souligne Alejandro Aravena, président du jury du Pritzker et lauréat 2016 du prix.
Un langage architectural sans dogme
Ce qui distingue Liu Jiakun, c’est moins un style qu’une stratégie architecturale souple, attentive aux réalités du terrain. « Plutôt qu’un style, il a développé une stratégie qui ne repose jamais sur une méthode récurrente, mais sur l’évaluation des caractéristiques et des exigences spécifiques de chaque projet », précise le jury du Pritzker.
Ainsi, au Sichuan Fine Arts Institute Department of Sculpture (Chongqing, 2004), il maximise l’espace restreint en projetant les niveaux supérieurs vers l’extérieur, une solution à la fois fonctionnelle et esthétique. À Luyeyuan Stone Sculpture Art Museum (Chengdu, 2002), il s’inspire des jardins traditionnels chinois, intégrant l’eau et la pierre pour créer une harmonie avec le paysage naturel. Sa rénovation du Tianbao Cave District of Erlang Town (Luzhou, 2021) s’efface dans la falaise luxuriante, illustrant sa conviction que l’architecture doit émerger et se dissoudre dans son environnement.
L’architecture comme mémoire et résilience
L’engagement social de Liu Jiakun transparaît dans sa manière d’utiliser des matériaux locaux et traditionnels, favorisant l’artisanat plutôt que les produits manufacturés. Après le séisme dévastateur du Sichuan en 2008, il développe les « Rebirth Bricks », des briques renforcées à partir de débris recyclés et de fibres de blé, utilisées notamment dans le Shuijingfang Museum (Chengdu, 2013) et dans le West Village. Son plus petit projet, le Hu Huishan Memorial (Chengdu, 2009), un relief en ciment en mémoire d’une adolescente disparue dans le séisme, devient un symbole de deuil collectif.
Un héritier de l’histoire chinoise, tourné vers l’avenir
À travers ses réalisations, Liu Jiakun réinterprète les formes architecturales traditionnelles chinoises pour les inscrire dans la modernité. Les avant-toits plats du Suzhou Museum of Imperial Kiln Brick (Suzhou, 2016) et les murs de fenêtres du Lancui Pavilion of Egret Gulf Wetland (Chengdu, 2013) rappellent les pavillons millénaires. Les balcons en gradins du Novartis Block-C6 (Shanghai, 2014) évoquent les tours des différentes dynasties chinoises.

« Liu Jiakun élève l’architecture par son processus et sa finalité, favorisant des connexions émotionnelles qui unissent les communautés », déclare Tom Pritzker, président de la Fondation Hyatt, qui parraine le prix.
Avec plus de 30 projets majeurs à son actif et une carrière de plus de 40 ans, Liu Jiakun devient le 54e lauréat du prix Pritzker, après Wang Shu en 2012. Son œuvre, empreinte de sagesse et de pragmatisme, nous rappelle que bâtir, c’est avant tout répondre avec sensibilité aux réalités humaines et territoriales. Une leçon précieuse pour l’avenir du bâti.







