Inventeur de la notion d’« architecture météorologique », Philippe Rahm est un architecte suisse né en 1967, actuellement basé à Paris, il est le fondateur de l’agence « Philippe Rahm architectes ». Il est titulaire d’un doctorat en architecture de l’Université Paris-Saclay depuis 2019, maître de conférences à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles et a été professeur invité à la Graduate School of Design de l’université Harvard aux États-Unis, à Princeton et à l’Université de Columbia à New York ou encore à Cornell University. Son projet a été classé quatrième dans le concours en consortium avec Sana Frini. Son travail en architecture ne se limite pas à l’aspect physique, mais s’étend également à l’aspect météorologique, ce qui signifie qu’il intègre la dimension climatique dans la conception de ses projets architecturaux. Ses projets et travaux de recherches tissent des liens entre le climat et la forme des villes. Nous l’avons rencontré lors de sa participation à Tunis aux journées architecturales Afro-méditerranéennes pour mieux comprendre son approche de l’architecture météorologique et du développement durable.
Comment préférez-vous être présenté à la communauté tunisienne pour mieux vous connaître ? Quelle est l’origine de votre approche particulière en matière d’architecture ?
En tant qu’architecte, je préfère être connu du grand public pour mon engagement en faveur d’une architecture sensible à l’environnement, qui intègre les phénomènes climatiques dans sa conception et qui vise à créer des espaces à la fois fonctionnels et esthétiques. Je crois que l’architecture, à ses origines, était intrinsèquement liée au climat, cherchant à protéger les individus des intempéries et des conditions climatiques extrêmes. Ainsi, je suis convaincu que l’architecture doit relever des défis climatiques dès sa conception.
Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur la thématique du développement durable dans votre pratique ?
Il y a deux raisons principales à cela. Tout d’abord, l’architecture trouve son origine dans les conditions climatiques, ce qui en fait une dimension essentielle de notre discipline. Deuxièmement, le secteur du bâtiment est responsable de 39 % des émissions de CO2, contribuant ainsi au réchauffement climatique. Les architectes ont donc un rôle crucial à jouer dans la lutte contre ce phénomène en adoptant des pratiques durables. Nous avons une grande responsabilité vis-à-vis de cette question du réchauffement climatique.
Finalement, on se dit « L’origine de l’architecture est climatique, le problème aujourd’hui est climatique ». Pourquoi on doit toujours travailler avec la géométrie ou avec les analogies ou les symboles ?
Pourquoi on ne pourrait pas travailler avec le climat, justement ? Puisqu’on est encerclé par des problèmes climatiques, on pourrait se dire «Je vais travailler avec le climat » et donc prendre la science du climat comme science de l’architecture et me dire que des phénomènes physiques comme l’émissivité thermique, l’effusivité thermique, la convection thermique ou encore la conduction thermique, peuvent être des outils du design architectural et des atouts pour réaliser le projet d’architecture.
Dans un monde en constante évolution, croyez-vous en la force des liens entre l’architecture, l’art et la science ?
Oui, complètement. Je crois que durant la deuxième partie du 20ème siècle, on avait perdu ce lien avec la science. L’architecture était devenue plutôt liée aux sciences humaines, mais moins avec la biologie, avec la physique, avec la climatologie, voire même avec l’écologie. On avait perdu ce lien parce que le pétrole et les énergies fossiles nous ont donné tellement de facilité. C’était tellement facile de résoudre les problèmes énergétiques avec les énergies fossiles, avec le pétrole, le charbon et le gaz qu’on avait oublié cette question matérielle. Cette dernière est scientifique.
Aujourd’hui, je crois que c’est crucial pour les architectes de reprendre en main la question scientifique dans le sens de la physique, du climat et de l’écologie pour travailler, parce que ça peut nous aider à trouver des bonnes formes et des matériaux adéquats pour répondre aux défis actuels. L’effusivité thermique est la capacité d’un matériau à échanger la chaleur. Dans un pays chaud, c’est mieux d’avoir du marbre ou de la pierre tandis que dans un pays froid, c’est mieux d’avoir de la laine ou du bois pour ne pas perdre de la chaleur. Donc en Suisse par exemple, l’utilisation de la laine est recommandée. Par contre, dans le sud de la Tunisie, c’est mieux d’avoir recours à la pierre pour se rafraîchir. De la même manière, on peut réfléchir à la question de l’inertie thermique dans le sens où si l’espace admet une bonne inertie thermique, la froideur de la nuit peut être communiquée à la journée et donc je peux me rafraîchir grâce au froid. Ce sont des savoirs d’autrefois, mais qu’on a perdus au 20ème siècle avec la modernité et les énergies fossiles.
Vos livres explorent les impacts des changements climatiques sur notre manière de concevoir et d’habiter les espaces construits. Pouvez-vous nous présenter vos idées derrière ces récits ?
Lorsque je travaille sur un projet, j’ai besoin de comprendre pleinement ce que je fais et de me situer dans une perspective historique. J’ai peur de simplement imiter sans réflexion, car cela ne correspondrait pas à ce que nous devrions faire.
Mes livres sont le fruit de recherches approfondies visant à mieux comprendre la faisabilité des projets architecturaux contemporains. Je m’efforce de comprendre les raisons et les motivations derrière nos choix architecturaux. L’écriture dans ces livres est un moyen pour moi d’éclaircir mes idées, d’inventer de nouvelles idées et de développer de nouvelles formes architecturales.
Comment percevez-vous votre participation au concours international pour la requalification de l’acropole de Byrsa et la réhabilitation du musée national de Carthage?
Dans le cadre de ma participation, j’ai conseillé Sana Frini sur les aspects formels et la conception générale du projet. D’une part, nous avons intégré une approche climatique, en abordant des questions telles que la protection solaire et l’isolation thermique. D’autre part, nous avons examiné les problèmes identifiés dans le bâtiment existant. Les dalles en béton trop lourdes ajoutées dans les années 1980, par exemple, exercent une pression excessive sur les colonnes anciennes, ce qui endommage la structure. Nous devons donc retirer les éléments structurels ajoutés qui nuisent au bâtiment.
Propos recueillis par Emna El Bey & Nihel Allouche, architectes
Article paru dans Archibat n°58 – Juillet 2023