Contrairement aux idées reçues, le système de modélisation des données du bâtiment communément connu par son abréviation BIM (Building Information Modeling) n’est pas une innovation récente. La conception, la construction virtuelle et l’assemblage de la base des données ne datent pas d’aujourd’hui.
Le développement d’ArchiCAD en 1987 ; premier logiciel à pouvoir installer sur un ordinateur personnel ainsi que celui de Tekla, furent le premier pas de départ du système BIM.
La démocratisation des outils softwares et hardwares a participé activement à la vulgarisation des différents logiciels permettant l’implémentation du BIM qui a connu une évolution significative au début des années 2000 à l’avènement de l’internet.
Nous ne parlons plus du BIM comme système de modélisation (Modeling) mais d’une méthodologie à part entière de gestion (Management). Cette dernière connaît une évolution en courbe exponentielle pour devenir un processus complexe et évolutif qui suit la célérité du développement des nouvelles technologies.
A titre d’exemples, la facilité de l’accès à des supports de stockage distants et de grandes capacités ( Cloud ) a permis la mise en place de plusieurs plateformes collaboratives (comme Autodesk Construction Cloud) optimisant ainsi les échanges autour de la maquette numérique entre les différents acteurs et intervenants du secteur du bâtiment.
Le BIM connecté, les objets d’internet (IoT), la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l’intelligence artificielle (IA) deviennent un sujet d’actualité et font partie intégrante de l’amélioration du processus BIM.
Le grand public a récemment découvert la puissance de l’IA via les modèles de langage tels que le puissant chatbot ChatGPT ou encore les deux célèbres programmes d’intelligence artificielle Midjourney et DALL-E qui génèrent des images à partir d’une description textuelle.
La machine a désormais la possibilité et la capacité à apprendre et à internaliser de nouvelles informations – qu’elle puise d’internet (Big Data) – de la même façon qu’un humain (machine learning et deep learning). Autrement dit, la machine recueille une quantité gigantesque de données, les traite, explore des possibilités et apporte des réponses ainsi que des solutions beaucoup plus rapidement que le cerveau humain. Il est clair et inéluctable que l’émergence de l’IA transformera et est en train de transformer notre perception dans divers domaines y compris ceux en lien direct avec les métiers du BTP.
S’arrêter seulement sur les aspects premiers de l’intelligence artificielle (comme par exemple la production d’image à partir d’une description textuelle) ne serait qu’appréhender le sujet au premier degré. Il s’agit bien d’une technologie révolutionnaire qui a le potentiel de refaçonner la manière dont les professionnels de la construction collaborent et communiquent tout au long du cycle de vie d’un bâtiment ; à savoir la conception, la construction, la logistique, l’entretien, etc… Par conséquent l’IA impactera le processus BIM en rendant ses systèmes plus efficaces.
Les éditeurs de logiciels apparentés au BIM usent d’ores et déjà de l’intelligence artificielle pour améliorer leurs programmes en guise de les rendre de plus en plus autonomes dans l’automatisation et l’amélioration du processus de genèse de la maquette numérique.
Ceci permettra non seulement d’accélérer le processus mais réduira aussi le risque de l’erreur humaine. Par exemple, dans la numérisation d’un bâtiment existant à partir d’un scan 3D, un programme intégré dans un logiciel BIM et faisant appel aux algorithmes de l’IA peut remplacer l’homme dans l’étape de modélisation ainsi que dans les tâches répétitives et laborieuses. L’entreprise HoloBuilder utilise l’IA pour la création de modèles BIM des bâtiments, à partir de scans 3D en se basant sur des nuages de points. Une combinaison de réseaux de neurones et de traitement d’image qui permet d’identifier les formes, les dimensions et la nature des éléments de construction.
Grâce à l’intelligence artificielle, la machine qui apprend est capable d’analyser plusieurs modèles BIM afin de détecter d’éventuelles erreurs et/ou anomalies de conception comme la détection des clashs quand des composantes de la maquette se croisent par erreur (conduites d’eau – câblages électriques, poutres – portes, etc..). Elle pourra apporter les ajustements et fournir à la sortie un modèle plus cohérent et de plus grande précision.
Par leur capacité d’analyser un grand nombre de données très rapidement, les algorithmes de l’IA, comme ceux de la plateforme BrickControl, collectent constamment des informations assurant ainsi une mise à jour en continu.
Ceci permettra d’affiner et d’améliorer la qualité du processus BIM. Sur site, cela aidera à prévenir certains problèmes en cours de chantier et éviter des retards d’exécution ainsi que des coûts supplémentaires.
L’intelligence artificielle peut aussi impacter la durabilité et les performances énergétiques du bâtiment dès les phases d’étude. Le traitement et l’analyse des données du BIM (relatifs à la géolocalisation, l’orientation, les vents dominants, etc…) sont exploités non seulement dans la simulation virtuelle de la réponse énergétique de la construction future mais aussi pour orienter les professionnels dans leurs décisions quant aux solutions choisies (choix des matériaux, des équipements, etc.…).
De même l’IA, et ce via des modèles de performances analysés en temps réel, peut aussi assister et aider les exploitants à optimiser leur utilisation des systèmes de climatisation et de ventilations et ainsi réduire la facture énergétique.
Le BIM assisté et amélioré par l’IA contribuera également à l’atténuation des risques de sécurité sur site. En prédisant les incidents et/ou accidents avant qu’ils ne se reproduisent. Il sera possible de mettre en place des mesures de sécurités plus adaptées aux caractéristiques propres à chaque chantier. Smartvid.io est entre autres une plateforme qui utilise l’apprentissage automatique pour analyser les vidéos et les images de chantier pour détecter les risques potentiels en matière de sécurité.
Outre l’apport bénéfique de l’IA dans les premières étapes du processus BIM, elle l’accompagne dans la gestion du patrimoine bâti permettant ainsi aux propriétaires une meilleure gestion des actifs en collectant les informations données par les objets de l’internet (IoT) et ce en guise d’assurer l’entretien et la maintenance du bâti. En effet, grâce à la maintenance prédictive, d’éventuelles pannes des équipements du bâtiment peuvent être évitées en planifiant les opérations d’entretien au préalable.
Telle l’invention du moteur à vapeur au XVIIIe siècle qui a participé à l’essor de l’industrie et des transports, le web 2.0 qui a rendu la toile un espace participatif, l’intelligence artificielle marque désormais un point de rupture et est en train de révolutionner tous les domaines. Cette transformation technologique qui touchera de plein fouet le secteur de la construction et du bâtiment nous laissera réfléchir à l’après BIM.
Même si on a tendance à croire que le BIM est nativement une approche théorique, la réalité est toute autre ; il s’agit bien d’une pratique. Nous ne parlons pas, à l’heure actuelle, de la fin de cette méthodologie mais de son évolution rapide dans les années à venir. Il est notoire d’attirer l’attention sur l’importance de la refonte des programmes d’enseignement et de la formation des futurs professionnels de la construction en fonction de ces changements pour répondre aux défis et aux enjeux du secteur.
Par Sameh Ben Rabeh, Architecte ENAU BIM Specialist & CEO of Colors Made Group PMI member Autodesk Certified Professional
Article paru dans Archibat n°57 – Mars 2023, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/shop/