Créé en 1977 par son Altesse l’Aga Khan, le Prix Aga Khan d’Architecture (AKAA) récompense, tous les trois ans, des réalisations exemplaires œuvrant à une meilleure qualité de vie dans les sociétés musulmanes. Fidèle à sa vocation, le programme valorise des réalisations où la créativité architecturale se conjugue avec la responsabilité sociale et environnementale. Son directeur, Farrokh Derakhshani, en poste depuis plus de vingt ans, veille à ce que chaque édition reflète les mutations du monde contemporain et la diversité des approches architecturales.
Comme le souligne Farrokh Derakhshani, « l’architecture est l’une des rares disciplines qui touchent toutes les strates de la société. C’est un art qui transforme le quotidien ». Pour lui, « l’architecture n’est jamais un acte isolé » elle naît toujours d’un dialogue vivant entre le lieu, les habitants et l’époque et puise sa force dans cette interaction constante entre culture et société.
À travers cette entrevue, Farrokh Derakhshani revient sur l’impact du Prix Aga Khan et sur la manière dont il continue d’inspirer une nouvelle conscience architecturale.
Le Prix Aga Khan a toujours valorisé une architecture enracinée dans son contexte social et culturel. Quelles tendances émergent aujourd’hui ?
Nous assistons à une transformation du rôle même de l’architecte. Il n’est plus seulement exécutant d’un programme, mais initiateur d’une vision. Il participe activement à définir les besoins, à mobiliser les acteurs locaux et à proposer des solutions qui transcendent la simple réponse à une commande. Les projets soumis cette année témoignent de cette approche participative, où les concepteurs s’impliquent directement auprès des communautés. Nous observons que de nouvelles réalisations illustrent cette posture engagée, traduisant une architecture à échelle humaine où le dialogue et le contexte deviennent le point de départ du projet.
Comment le jury appréhende-t-il aujourd’hui la question de la durabilité, au-delà des performances techniques ?
La durabilité ne se résume pas aux prouesses technologiques ni aux seules performances énergétiques. Jusqu’au début du XXe siècle, l’architecture savait dialoguer naturellement avec son environnement : orientation, ventilation, matériaux et techniques locales formaient un ensemble cohérent et durable. L’essor des technologies modernes a éclipsé cette sagesse constructive essentielle face aux défis climatiques. Le Prix s’attache justement à raviver cet héritage en valorisant des approches où la sobriété rejoint l’innovation à travers des solutions endogènes optimisées. Des projets récents incarnent cette alliance féconde entre tradition et progrès, capable de redéfinir durablement notre rapport à l’architecture.
Quel rôle peuvent jouer les jeunes architectes et urbanistes du Maghreb dans cette dynamique ?
Ils disposent aujourd’hui d’une formidable opportunité : créer des projets à la fois enracinés dans leur environnement et ouverts sur le monde. Un architecte doit savoir lire les ressources locales et répondre aux besoins réels des habitants. L’exemple du projet Hafsia 1 dans la médina de Tunis, primé en 1983, en est emblématique. Considéré comme ordinaire par les autorités, son attribution au Prix Aga Khan a suscité une véritable prise de conscience sur la valeur sociale de l’architecture et transformé durablement le regard de l’État sur ces démarches inclusives.
Le jury du Prix est renouvelé tous les trois ans. Quelle est la spécificité de cette méthode ?
Chaque cycle réunit un jury aux profils complémentaires – architectes, urbanistes, ingénieurs, chercheurs et penseurs – garantissant une lecture plurielle et exigeante des enjeux architecturaux contemporains. Ce renouvellement régulier insuffle à chaque édition une vision fraîche, en prise avec les transformations actuelles. Le sérieux méthodologique du Prix fait également sa singularité. Chaque projet présélectionné fait l’objet de visites approfondies sur le terrain. Elles sont menées par des experts indépendants qui échangent avec les concepteurs, les maîtres d’ouvrage, les usagers et les institutions locales. Cette enquête rigoureuse permet de distinguer uniquement des réalisations achevées, fonctionnelles et fidèles aux valeurs du Prix.
Propos recueillis par Amel Souissi Talbi
Article paru dans Archibat n°65 – Octobre 2025, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/shop/












