Salima Naji est architecte DPLG (École d’architecture de Paris-La-Villette) et docteur en anthropologie (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris). Honorée par l’Ordre des Architectes du Royaume du Maroc en 2010, elle reçoit une année plus tard le Prix Holcim du Développement Durable pour son projet de centre de formation à Marrakech pour la Fondation Alliances. Elle est aussi l’auteure de plusieurs ouvrages de référence sur les architectures vernaculaires du Sud Marocain : Art et architectures berbères, Greniers collectifs de l’Atlas et Fils de saints contre fils d’esclaves.
« Pourquoi singer des pays européens extrêmement pollueurs dont sont issus de nombreux experts donneurs de leçon ? Il faut, tout au contraire, se méfier des normes stérilisantes souvent portées par de grands groupes à la recherche de nouveaux monopoles. Encourager les territoires : utiliser la pierre dans tous ses procédés, la terre dans l’ensemble de ses possibilités, développer des matériaux bio-sourcés (briques de chanvre, plafonds industrialisés de fibres locales, doum et autres palmes ne sont plus utilisées alors que toute notre sparterie irradie de possibilités). »
Dans un dossier consacré à l’engagement social dans une revue internationale d’architecture parue en 2018, Salima Naji figure parmi les architectes qui luttent à travers le monde, comme les Chinois Wang Shu et Lu Wenyu, les Britanniques Forensic ou encore la Thailandaise Patama Roonrakwit… Une reconnaissance pour un travail en profondeur qu’elle mène depuis une vingtaine d’années.
Salima Naji a reçu plusieurs distinctions dont celle d’ « Inspiring women, expanding Horizon » par la Mosaic Foundation à Washington en 2008. Sur son blog salimanaji.org, elle évoque Hassan Fathy dans la rubrique « Nourritures spirituelles » en écrivant ces quelques lignes :
« Leila El-Wakil a signé un très beau texte sur Hassan Fathy, je ne me lasse pas de le lire, Hassan Fathy dans son temps (In Folio, 2013) enfin montré dans son universalité et la complexité de sa personnalité et non pas uniquement comme l’auteur du projet de Gourna et du si grand texte qui le fit connaître. »
Hassan Fathy, récipiendaire du prix Nobel alternatif (Right Livelihood Award ) en 1980, est la référence incontournable (et quasi unique ?)
que nous pouvons tous citer en matière d’engagement dans le monde islamique. Dans les années soixante, il prône le retour aux traditions constructives vernaculaires ainsi que la participation des habitants dans le processus de construction. Le « gourou » Hassan Fathy a fait plusieurs disciples et depuis la délivrance de son message, une résistance par le biais de l’architecture est née et s’est installée pour continuer aujourd’hui entre autres, grâce à l’architecte et anthropologue marocaine Salima Naji.
Au Sud de son pays, l’architecte a restauré des dizaines d’édifices ancestraux, des lieux de culte, des ksours et des igudars ou greniers communautaires dont ceux d’Amtoudi. Elle puise pour cela et à chaque fois, dans le local que cela soit au niveau des savoir-faire ou au niveau des matériaux (pisé, pierre, stipes de palmiers, fibres végétales…). Elle a participé à une opération de restauration d’envergure de la ville de Tiznit comprenant la sauvegarde de la Kasbah Aghennaj El Hahi et l’édification à l’intérieur de son enceinte, d’un musée, d’un jardin public et d’un théâtre en plein air.
A l’occasion de la COP22 à Marrakech, Salima Naji a pris la parole pour défendre la vision d’« une autre architecture » fondée sur la diffusion des « alternatives à un mode de vie tout-ciment ». Pour cela, le défi consiste clairement à se donner les moyens de ressusciter les techniques anciennes, de les appliquer dans les règles de l’art, voire de les améliorer si nécessaire.
Dans son combat, Salima Naji est devenue au Maroc l’emblème de la résistance pour la sauvegarde d’un patrimoine bâti en proie à une destruction profonde. Son travail consiste à la fois à restaurer le bâti mais aussi à restaurer par la sensibilisation, le lien des habitants avec la mémoire constructive. L’architecte marocaine se soucie ainsi de la pierre et de la terre mais aussi du regard qu’une grande marge de la société porte sur ces matériaux et techniques d’antan, les jugeant désuets, mauvais et inadaptés.
Salima Naji, femme et architecte, restaure non uniquement le bâti mais aussi la relation des humains avec ce qui leur a permis d’habiter cette terre pendant des siècles…Un travail en profondeur sur le retour à la terre et sur l’affect.
Réhabilitation du Minaret et oratoire du site dit “Agadir Amghar”
Le Centre culturel des Ait Ouabelli
Centre d’interprétation du patrimoine de Tiznit
Ici, cette opération est certes exceptionnelle par son programme, mais d’autres opérations dans le Sud du royaume vont être livrées prochainement tout aussi significatives : elles illustrent, plusieurs axes du développement durable, pour un territoire particulier à partir des matériaux et procédés locaux revisités et dans des budgets très raisonnables. C’est en Europe que le pisé est hors de prix, pas dans le royaume où il a été mis au point !
Ksar d’Agadir Ouzrou et Ksar d’Assa, mosquée Timzguida Oufella. Programme de recherche-action « Préservation des architectures sacrées et collectives des oasis du Maroc ».
Article paru dans Archibat n°47 – Août 2019