Renouveler les pratiques constructives : une nécessité
Les effets du réchauffement climatique sont d’ores et déjà visibles, tant dans les pays de la rive sud que ceux de la rive nord de la méditerranée. Ces phénomènes climatiques vont aggraver les défis économiques des pays vulnérables comme la Tunisie. Ils imposent aux professionnels de la ville, de l’architecture, du paysage le renouvellement de leur pratique pour relever ces défis. Ce constat représente également un enjeu de développement majeur du secteur du BTP.
D’un autre côté l’architecture vernaculaire des régions du sud, notamment de la Tunisie, s’avère particulièrement adaptée au climat chaud, elle représente un modèle inspirant, tant pour les architectes locaux que pour ceux du nord, à transposer dans le contexte actuel. Cette transposition peut contribuer à trouver des solutions innovantes à différents niveaux pour améliorer l’habitabilité des environnements bâtis. Se fondant sur le recours aux matériaux de collectes à faible énergie grise provenant de filières courtes (peu de GES transport), une mise en œuvre « basse » technologie, avec un minimum de déchets de chantier et la perspective de recyclage des matériaux en fin de vie du bâtiment, ces techniques de construction locales pourraient constituer de véritables alternatives pour la construction en valorisant le savoir-faire et le travail humain (plutôt que le produit manufacturé).
Notons que dès la première moitié du XXe siècle cette production vernaculaire a inspiré les architectes de la reconstruction d’après-guerre en charge de la reconstruction de la Tunisie et de la modernisation de ces équipements (Ben Ayed, 2014) (Gharbi, 2017) (Jallali, 2022). Il en a résulté une architecture moderniste exemplaire tant du point de vue esthétique que climatique encore habitée et appréciée de nos jours. D’autres exemples ont pu voir le jour à l’époque contemporaine témoignant de la complexité de cette transposition (Landoulsi, 2019)
Est née donc l’idée d’engager un programme de recherche action, initiée par Imen Landoulsi et Alia Sellami, visant d’une part la sensibilisation des différents acteurs de la ville contemporaine, étudiants, professionnels, institutionnels, au potentiel opératoire de l’architecture en question pour lutter contre les effets du réchauffement climatique et d’autre part, à revaloriser ce patrimoine tant sur le plan national qu’international. Cette action impliquant les acteurs locaux, en particulier les jeunes, devrait contribuer à créer de nouvelles alternatives d’emploi, à dynamiser l’écosystème entrepreneurial (création de startups orientées éco construction) et le tourisme alternatif. Il s’agit également d’aider à passer d’un processus de décision descendant à une approche ascendante sensibilisant et responsabilisant les communautés locales.
En effet la transformation du paysage urbain et architectural de ces régions traduit une perte non seulement des savoir-faire et pratiques mais surtout de leur raison d’être (Landoulsi, 2019)
Dans ces conditions la transposition de l’architecture des régions du sud, entre autre celles de la Tunisie, non pas tant en imitant forcément leur géométrie mais en reproduisant leurs effets climatiques, serait pertinente. En effet cette architecture met en œuvre de nombreux effets thermo-aérauliques dont l’inertie, la radiation thermique, la convection thermique, etc. qui contribuent fortement au rafraichissement du bâtiment.
Méthodologie d’approche
La démarche expérimentale de recherche action s’inscrit dans le cadre d’un laboratoire vivant (Living Lab) impliquant l’ensemble des acteurs. Volontairement transdisciplinaire, cette démarche part de l’idée que les aspects ayant trait à l’énergétique du bâtiment sont de nature multicritères et multi échelles et qu’ils doivent être traités de façon transversale pour prétendre améliorer l’efficacité en question. Optimiser le comportement thermique du bâtiment n’est pas seulement synonyme d’efficience énergétique, il convient de prendre en considération, voire de centrer son attention sur les usages et les comportements des usagers.
L’intérêt du Living Lab est son caractère interactif et expérimental et ses perspectives méthodologiques qui permettent d’envisager, non seulement l’implication de l’ensemble des acteurs (habitants, visiteurs, autorité locale, scientifiques, experts, étudiants, entrepreneurs, société civile, etc.) mais également l’émergence de solutions à la fois innovantes et ancrées dans le territoire. Ces solutions peuvent aider à dynamiser l’écosystème local et renforcer la résilience.
Intervenants
ERA : Equipe de recherche sur les ambiances architecturales et urbaines du laboratoire LARPA de l’ENAU (https://equipe-de-recherche-sur-les-ambiances.jimdosite.com/)
Atmosphères : Fondée par l’architecte Imen Landoulsi, Atmosphères est un bureau d’études qui conjugue la pratique du projet architectural ou urbain avec des actions de recherche action (SEACAP 4 SDG, Ville à hauteur d’enfant)
Pavillon bleu : Espace d’exposition et d’échange qui se veut être un lieu de vie, de promotion de la durabilité et où toutes les disciplines se confondent et viennent enrichir la pensée architecturale.
Club indigo : club culturel au sein de l’ENAU qui œuvre pour une effervescence de la vie culturelle à l’Ecole nationale d’Architecture et d’Urbanisme
Workshop- Sud-Est
Un voyage d’immersion organisé en janvier 2024 par le club Indigo-entre autre l’étudiante Aya Sellami- et l’ERA avec pour invité l’architecte suisse spécialiste du design climatique Philippe Rahm, est entré en résonance avec le projet de recherche Ateliers du Sud. Les chercheurs de l’ERA, Imen Landoulsi et Alia Sellami coordinatrices de l’action, Olfa Meziou et Ichraf Aroua et des étudiants du club Indigo la coordinatrice Yosr Ammar, Feriel Mesbah, Mohamed Yessine Ayeb, Mohamed Ben Othmen, Mariem Chouchani et Amani Naija ont pu identifier les dispositifs climatiques de Tataouine Chenini et Matmata. Cette action a été soutenue par l’COAT (Conseil de l’Ordre des Architectes), le CNT (Comptoir National Tunisien) et l’association Edifices et mémoires
Ateliers du Sud- Djérid
Un premier atelier d’analyse de l’architecture vernaculaire du Djérid a été entrepris en octobre 2024 avec pour objectif une collecte de données pour une caractérisation typo-morphologique, climatique et sensible des dispositifs urbains et architecturaux.
Dans le cadre du renforcement de capacités des acteurs de cet atelier en particulier les étudiants architectes, il était important de mettre à l’épreuve une pédagogie innovante qui intègre en son sein les questions climatiques telle que celle développée, entre autre à l’ENSAV (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles), par l’architecte Philippe Rahm, auteur d’une importante littérature concernant l’architecture climatique (Meziou, 2019)
Studio Les leçons du Sud. Du vernaculaire au contemporain monté par Olfa Meziou, dont le programme a été construit en tandem avec le studio Overview de l’ENSAV dirigé par Philippe Rahm a été le cadre de cette expérience.
Le living lab du projet a donc été élargi aux étudiants de la rive nord (ENSAV) qui ont été conviés à ce premier atelier à la découverte de l’architecture vernaculaire tunisienne associant les architectes chercheurs Philipp Rahm, Alia Sellami, Imen Landoulsi, Olfa Meziou, Alia Bel Hadj Hamouda, Narjes Abdelghani et l’architecte Laroussi Eddeb, originaire de la region ainsi que les étudiants du studio les leçons du Sud et les étudiants du club indigo impliqués dans le workshop de janvier. Cette action a été soutenue par la fondation BIAT pour la jeunesse.
Constitution d’un répertoire de dispositifs
Dans le but d’initier un répertoire des dispositifs climatiques des architectures vernaculaires, la caractérisation a été entreprise en appui sur l’état de l’art et au moyen du travail in situ qui a déployé un croisement de méthodes, relevés physiques, enquêtes semi-directives.
Ainsi les étudiants encadrés par les enseignants chercheurs ont éprouvés différentes techniques de représentation afin de rendre au mieux ces phénomènes.
Les travaux élaborés ont été sélectionnés pour l’exposition quatre degré Celsius entre toi et moi dans le cadre de la biennale d’architecture et de paysage d’île de France qui se tiendra à Versailles à partir du 6 mai 2025.
Pour conclure rappelons que ce qui nous motive est de proposer des pistes de réflexions pour renouveler l’architecture contemporaine dans un contexte de réchauffement climatique. C’est tout l’intérêt de l’architecture du sud, particulièrement attentive au climat, et de son potentiel à inspirer des solutions innovantes. La méthodologie Living Lab déployée dans le projet, impliquant l’ensemble des acteurs, permet justement l’émergence des solutions en question. En perspective nous envisageons de renforcer l’interdisciplinarité du projet et d’associer des ingénieurs spécialistes de l’énergétique, d’une part et des anthropologues, d’autre part, pour poursuivre et affiner le travail de documentation et d’analyse croisée et enrichir le répertoire raisonné des dispositifs climatiques. Ce qui nous permettra également de nourrir nos réflexions sur les potentialités de transpositions des dispositifs analysés.
Photos : Imen Landoulsi – Feriel Mesbah
Par Imen Landoulsi et Alia Sellami, Architectes Enseignantes ENAU – Chercheurs LARPA
Article paru dans Archibat n°63 – Février 2025, vous pouvez le commander ou vous abonner en ligne : https://archibat.info/shop/
