Le 10 décembre 2020, à l’occasion de la clôture des 10 jours d’activisme contre la violence à l’égard des femmes et de la célébration de la Journée des Droits de l’Homme, un manifeste a été élaboré et a appelé à promouvoir une Charte du Droit à la ville pour toutes et pour tous, dans toutes les régions et villes de Tunisie.
Henda Gafsi, Urbaniste Senior Advisor – CILG-VNG International Development
Cette action s’inscrit dans le cadre du programme « Pour un leadership municipal inclusif en Tunisie » (PLMI)1, qui a pour but ultime d’assurer aux citoyennes et femmes leaders plus d’influence dans la gestion des affaires communales en Tunisie et de renforcer la capacité des institutions nationales et municipales à délivrer des services publics répondant au mieux aux besoins et au potentiel des femmes et des filles. Il apporte un soutien particulier aux femmes élues et à leurs alliés hommes, afin qu’elles/ils influencent les politiques adoptées par les municipalités dans le sens d’une gouvernance locale inclusive.
Les porteurs de la charte, à savoir CILG-FCM et la Fédération Nationale des Communes Tunisiennes, FNCT, ont entrepris de promouvoir le Droit à la ville avec leurs partenaires nationaux et les membres du Comité National de Promotion de l’Egalité entre les femmes et les hommes dans la Gestion des Affaires Locales, (CNP EGAL)2, en collaboration étroite avec l’Association Tunisienne des Urbanistes et le bureau Tunisie de UN-HABITAT qui appuie depuis 2019, l’élaboration de la Politique Urbaine Nationale et une Charte Urbaine Nationale, avec le Ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Infrastructure.
La question du droit à la ville revêt aujourd’hui un caractère d’urgence dans cette situation de crise sanitaire, sociale, économique et politique que traverse la Tunisie avec ses impacts préoccupants, notamment la « vulnérabilisation » d’une partie importante de la population, tout particulièrement les populations pauvres, les chômeurs, les migrants, les travailleurs/euses du secteur informel, les jeunes, les femmes cheffes de ménage…
Pourquoi le Droit à la ville est-il un défi important en Tunisie ?
La planification et la gestion des espaces urbains ont cessé d’être considérées comme relevant d’un processus purement technico-économique et institutionnel. En effet, l’humain et le social sont désormais au cœur des politiques urbaines. Le droit à la ville pour toutes et tous est un vecteur de renforcement de la citoyenneté et concerne la gestion locale des droits socio-économiques, culturels, civils, politiques et environnementaux sur tout le territoire.
En Tunisie, les droits humains fondamentaux garantis par la législation tunisienne ne couvrent pas tous les aspects du Droit à la ville : logements, foncier, espaces publics, centralité, sécurité, mobilité, transport, santé, tranquillité, « bien vivre ensemble ».
Par ailleurs, face aux effets de la crise sanitaire, des changements climatiques et de leurs impacts sociaux, économiques, politiques… sur les territoires et les populations, les fractures socio-spatiales doivent être atténuées à la faveur de politiques de villes sensibles aux Droits Humains, aux droits aux ressources publiques et naturelles, aux services publics, au travail et à la formation, à l’éducation, la culture, à l’information, à la protection et à la sécurité, ainsi qu’à un environnement sain.
Rue Charles de Gaulle décembre 2020 © Amine Boussoffara
La Charte Tunisienne du Droit à la ville ou la Charte Tunisienne des Droits Humains dans la ville et son agenda ne relèvent pas d’une étude technique mais d’un processus de concertation multi-acteurs autour de valeurs et principes fédérateurs. Elles seront élaborées de manière participative avec tous les partenaires nationaux, régionaux, municipaux et locaux concernés.
Le processus veillera à valoriser les expériences de Chartes analogues, développées dans le monde à un niveau local, national, régional ou international, notamment la CHARTE-AGENDA MONDIALE DES DROITS DE L’HOMME DANS LA CITÉ, développée dans différentes villes européennes avec l’appui de la Commission « Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains » de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU).
La Charte du droit à la ville en Tunisie, s’est fixé comme objectifs :
– D’affirmer et d’inscrire dans une Charte qui aura valeur de contrat social, les principes, les champs prioritaires et les modalités de promotion du « Droit à la ville » pour toutes et pour tous basé sur le droit à un développement urbain durable et inclusif et à la préservation et mise en valeur des ressources naturelles urbaines et patrimoniales ;
– De reconnaître la fonction sociale de la ville à travers les processus de planification et de gestion de la ville, la protection (discrimination positive) de l’ensemble des groupes qui doivent recevoir une attention prioritaire et spécialisée dans les domaines publics et privés, pour la réalisation de leurs droits fondamentaux notamment les femmes, les populations pauvres, les chômeurs, les migrants, les travailleurs/euses du secteur informel, les jeunes…
– D’inscrire le droit à la ville et le principe de la gestion démocratique et inclusive de la ville et de la participation directe de la population, dans le droit de l’urbanisme, de l’environnement et du patrimoine, des eaux et des forêts, après l’avoir fait dans la Constitution en 2014 et le Code des Collectivités Locales en 2018.
– De créer ou d’améliorer l’efficacité des outils de la participation citoyenne dans les domaines de l’urbanisme, de l’aménagement et du développement local : conseils de quartiers, mécanismes juridiques de consultations publiques, droit d’initiative dans la formulation de propositions, droit de délibérer sur les lois qui touchent le développement urbain, municipal, l’environnement, le patrimoine…
Il est également proposé que la Charte/Agenda du Droit à la ville contribue à :
– Ralentir le processus de ségrégation socio-spatiale par l’établissement d’un contrôle social sur la croissance de la ville par les mécanismes de la démocratie participative ;
– Appuyer le développement de la résilience des villes et de leurs habitant.e.s face aux risques sanitaires, écologiques, climatiques, industriels, sécuritaires…
– Mettre fin aux pratiques prédatrices d’accaparement du sol, des ressources naturelles, patrimoine, paysages, espaces publics… dans les villes à travers l’urbanisme opérationnel, le contrôle social et les obligations de transparence et de rendre des comptes pour les institutions en charge du foncier, du patrimoine, de la protection du littoral, des forêts, de l’aménagement, par les mécanismes anti-corruption, une politique d’habitat social et d’accès prioritaire à la santé publique, à l’éducation et à la formation professionnelle, à l’emploi …
– Formaliser les engagements et clarifier les modalités de coordination et synergie entre les actions qui seront inscrites en priorité dans l’agenda de la Charte du Droit à la ville.
Le métro en décembre 2018 © Amine Boussoffara
En conclusion
Le lancement du processus d’élaboration de la Charte/Agenda du Droit à la ville en Tunisie exigera une mobilisation soutenue et une interaction fructueuse entre tous les acteurs concernés au sein du gouvernement, des collectivités locales, de la FNCT, de la société civile, des associations professionnelles, du secteur privé, des médias, des organismes de coopération, du monde de la culture…
Cette action s’inscrit dans un contexte particulièrement complexe et difficile mais également propice à une action collective innovante qui fera notamment appel à une participation massive des municipalités et autres acteurs locaux, pour la promotion de l’intérêt général et d’un développement urbain durable, inclusif et résilient face aux crises multiformes.
1 – Le PLMI est initié et géré depuis 2018 par la Fédération Canadienne des Municipalités (FCM) et le Centre International de Développement pour le Gouvernance Locale Innovante (CILG-VNG International) et appuyé par Affaires Mondiales Canada (AMC). Il est mis en œuvre avec 8 municipalités tunisiennes et des partenaires nationaux : Ministères en charge des Affaires Locales et des Femmes, FNCT, CNP EGAL…
2 – Le Comité National pour la Promotion de l’Egalité entre les femmes et les hommes dans la Gestion des Affaires Locales- CNP-EGAL, a été créé en 2014 suite à une initiative conjointe du Centre de Recherches, d’Etudes, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) et du Centre de Développement International pour la Gouvernance Locale Innovante (CILG-VNG International). Le CNP-EGAL est une plateforme nationale multi-acteurs placée sous l’égide du Ministère de la Femme, de la Famille et des Seniors. Il contribue à garantir le respect du principe de l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans les politiques publiques et la gestion des affaires locales
Texte : Henda Gafsi
Article paru dans Archibat n°52 – Août 2021